Les origines de l’académie Lorraine des Sciences

Hélène LENATTIER

Docteur en Histoire
Académicienne
Bulletin Société des Sciences 1900

Il était une fois… toutes les belles histoires commencent ainsi. Celle de l’origine de notre Académie nous intéresse, en ce temps où la recherche de racines fait florès. D’autant qu’un dicton de sagesse invite à regarder l’avenir sur les épaules du passé. Pour promouvoir l’heureuse pérennité de l’ALS, le moment est donc venu de rappeler une partie de notre histoire.

Donc, plaçons nous à Strasbourg, le 6 décembre 1828.
Quelques professeurs de zoologie et de botanique se réunissent afin de faire aboutir le projet qu’ils préparaient de longue date. Ils se donnaient pour tâche de décrire et faire connaître les objets que renfermaient les riches galeries du Muséum d’Histoire Naturelle de Strasbourg. Ils fondent alors la Société du Muséum d’Histoire Naturelle. Afin de pouvoir fonctionner, n’ayant aucun appui extérieur, ils acceptent de financer eux-mêmes leurs premiers besoins.
La mise en route prend du temps, le petit groupe s’agrandit et se retrouve en 1834, avec 25 membres ainsi que des personnes honorables qui ont bien voulu accepter le titre de membres associés et dont le nombre est de 13.
Cette année là, la Société est enfin autorisée à se constituer par arrêté préfectoral. Elle précise officiellement qu’elle a pour désir de soumettre au jugement du public et du monde savant ses travaux en publiant des Mémoires. Elle fait remarquer aux Autorités que les ouvrages du genre de ceux qu’elle publie ne sauraient avoir un grand débit. C’est dans le but de soutenir ses publications que les membres de la Société se sont soumis à une rétribution annuelle, et qu’ils demandent aux instances de bien vouloir souscrire pour un certain nombre d’exemplaires des dits mémoires. Deux recueils ont déjà été édités sous le titre « Mémoires de la Société d’Histoire Naturelle de Strasbourg », avec des illustrations.

A cette époque, les Sciences Naturelles tenaient une place éminente, l’observation de la flore et de la faune étant encore un des domaines privilégiés de la Science. Il était donc impératif de pouvoir présenter à l’examen des intéressés des dessins précis accompagnant les commentaires scientifiques. La publication allait rester le souci principal de la Société.

Dès 1838, l’horizon s’élargit. Dans une lettre à la Mairie de Strasbourg, le secrétaire Lereboullet déclare : « La Société du Muséum d’Histoire Naturelle s’occupe principalement de zoologie, d’anatomie et de physiologie humaine ou comparée, de botanique, de physique, de mécanique, de biologie, de minéralogie et de géologie. Ses notes scientifiques concernent, dès lors, l’ensemble de ces disciplines. Elle publie ses textes selon que la situation de sa caisse le permet. Ses ressources sont insuffisantes, car les frais de publication sont fort élevés à raison de la spécialité des matières traitées. Aussi un grand nombre de mémoires intéressants et dont la publication serait fort utile dans l’intérêt de la science restent enfouis dans les cartons de la Société. » Elle demandait la bienveillance du Gouvernement pour obtenir une allocation annuelle. Une souscription prise pour une quarantaine d’exemplaires de sa publication suffirait pour donner une impulsion nouvelle à celle-ci et l’étude des sciences y gagnerait certainement de bons matériaux. Les membres de cette Société étaient bien modestes, leur ton mesuré, et toutes les lettres aux Autorités se terminaient dans le plus grand respect par la formule : « Votre très humble et obéissant serviteur ».

Il est à signaler que pendant toute la période qui précède la guerre de 1870, la Société confie ses travaux d’édition à l’Imprimerie Levrault, devenue Veuve Berger-Levrault et fils, ayant déjà pignon sur rue à Parie 8 rue des St Pères et à Strasbourg, 26 rue des Juifs, avant d’émigrer à Nancy et de s’installer dès 1872, rue des Glacis en y construisant de modernes bâtiments dont la façade existe encore.

Depuis 1841, la liste des correspondants est impressionnante : Moscou, Turin, Amsterdam, Londres, Berne, Madrid, Lisbonne, Upsal. Elle ne cessera de s’allonger.
En 1848, par une largesse inaccoutumée de l’Administration, les Sociétés Savantes obtiennent la franchise postale pour leurs envois !
En 1856, une lettre est adressée à l’Ambassadeur de Russie en vue de l’acquisition d’un aurochs trouvé en Russie, pour le Muséum.
C’est seulement en 1858, soit vingt cinq ans après la création, que la Société du Muséum d’Histoire Naturelle obtenait l’appui de la Mairie pour être reconnue d’utilité publique avec la mention « demande à être reconnue depuis longtemps et paraît avoir pour cela tous les titres possibles ». Elle modifiait alors sa dénomination en Société des Sciences Naturelles.

En 1861, afin d’encourager les rapprochements avec les Universités, une délégation participe à la fête du cinquantenaire de l’Université norvégienne. En même temps, le directeur de l’Agence centrale des échanges internationaux écrit au secrétaire de la Société pour lui annoncer l’envoi de rapports, revues et bulletins américains pour échange. La Société obtient la Médaille d’Or du Ministère de l’Instruction Publique pour ses travaux. Des membres étrangers viennent renforcer les rangs, et les échanges s’intensifient. La liste entière serait fastidieuse, rappelons seulement :

  • Société Impériale et Royale de zoologie et botanique de Vienne.
    Sociétés des Sciences naturelles de Presbourg, Hanau, Stuttgart
    Académie Royale d’Amsterdam
    Société de Physique et de Médecine de Wurtzbourg
  • Sociétés des Sciences de Copenhague, Boston, Göttingen, Leipzig, Francfort, Breslau, Helsigfors en Finlande, et l’Académie de Stanislas à Nancy.
  • Grande satisfaction des relations avec la Société Royale des Sciences de Madrid
  • Utrecht, Hambourg, Stockholm
  • Berlin, la Nouvelle-Orléans, présence au Congrès extraordinaire de Nap

A partir de 1867, le fonds détenu par les Archives de la Ville de Strasbourg s’interrompt. On peut penser que les documents ultérieurs ont été enlevés, en raison de la guerre de 1870.

Cette guerre, aux prémices très courtes, sanglante et qui mit rapidement nos troupes en déroute, fut durement ressentie dans la France entière, occupée presque à 50%, mais surtout dans l’Est qu’une nouvelle frontière allait amputer de l’Alsace et d’une grande partie de la Moselle. Strasbourg fut particulièrement exposée et dut subir un siège, accompagné de bombardements violents. Plus de mille maisons furent détruites ; la grande bibliothèque incendiée; très rapidement après la signature du Traité de Francfort, le choix de nationalité et d’adhésion à une culture s’imposait. Les élites, majoritairement francophiles, n’hésitèrent pas à prendre le chemin de l’exil. L’Université de Strasbourg vit partir un grand nombre de ses professeurs, dans toutes les disciplines.

Et c’est ainsi que le 10 mars 1873, la Société des Sciences naturelles de Strasbourg, représentée par vingt-neuf de ses membres titulaires, a voté, à l’unanimité, le transfert de son siège social à Nancy. Elle prenait le nouveau nom de Société des Sciences de Nancy. Les membres signataires des nouveaux statuts étaient tous des immigrés de Strasbourg, éminents professeurs :

  • Mrs. OBERLIN, professeur de matière médicale et pharmacologie
  • BACH, professeur de Mathématique, ancien doyen de Strasbourg
  • HECHT, professeur de Pathologie interne
  • MILLARDET, professeur de Botanique
  • JACQUEMIN, Professeur de Chimie minérale
  • SCHLAGENHAUFFER, professeur de Physique et Toxicologie
  • ENGEL, professeur de Botanique
  • MONOYER, professeur d’Ophtalmologie
  • GROSS, professeur de Médecine opératoire, fondateur de la Revue Médicale de l’Est en 1874

Les 60 nouveaux membres titulaires, immigrés rejoints par des Nancéiens de souche, dans un même élan, ont largement contribué au prestige de Nancy pendant la période 1870-1914, qui fut incontestablement la Belle Epoque de Nancy. L’Université a acquis dans les années qui suivirent, un prestige largement dû à l’arrivée des personnalités d’Alsace-Lorraine dont on retrouve les noms dans la Société des Sciences. Ils ont oeuvrés, pour améliorer les conditions d’hygiène de la ville, offrir un enseignement performant qui fit la renommée de Nancy, notamment en médecine, mathématique, et chimie ; ils ont soutenu des contacts étroits avec les industries qui se sont développées dans l’agglomération, persuadés que l’avance de l’Allemagne était due aux liens étroits qui unissaient l’enseignement théorique des universités et les écoles d’applications, Technischehochschulen… Ils furent alors à l’origine de la création des Instituts Chimique, Physique et Electrotechnique, d’Ecoles de laiterie et de brasserie, et d’un Institut commercial.

La Société des Sciences de Nancy, désormais mère de notre Académie Lorraine des Sciences, a traversé le XXème siècle, ses deux guerres mondiales, ses profonds changements techniques, en gardant son rôle d’aiguillon et d’initiateur. Cette réussite nous impose à l’orée du XXIème siècle des devoirs auxquels nous ne nous déroberons pas.