ALS - Magazine 7 - Avril 2020

ALSMag / 45 ALS MAG LA PLACE DE LA SCIENCE DANS LA SOCIÉTÉ E lle est fondée sur l’image qu’en perçoivent les citoyens face « aux immenses perspectives de progrès qui résultent en particulier de l’utilisation la plus efficace de la science et des méthodes scientifiques pour le bien de l’humanité. » Encore faut-il que « l’importance de la science en tant que bien commun » soit reconnue par la société et ne soit pas galvaudée. Encore faut-il que les citoyens accordent leur confiance à la recherche et aux chercheurs. La Recommandation le reconnaît « La libre communication des résultats, des hypothèses et des opinions comme le suggère l’expression « libertés académiques » se trouve au cœur même du processus scientifique et constitue la garantie la plus solide de l’exactitude et de l’objectivité des résultats scientifiques ». Cette exigence est reprise plus loin, chap. suivant : l’éducation et la formation initiales des chercheurs scientifiques. Les Etats membres ne devraient pas perdre de vue que, pour être efficace, la recherche scientifique exige des chercheurs qui l’accom- plissent des qualités d’intégrité et de maturité intellectuelle, alliées à d’éminentes qualités morales et intellectuelles et le respect des principes éthiques ». Il s’agit bien d’une exigence, d’une exigence « personnelle », concernant la personnalité du chercheur. On peut en conclure qu’une recherche qui n’aurait pas été précédée d’un questionnement éthique serait certes critiquable, mais qu’un chercheur n’ayant pas respecté « les règles qui en garan- tissent le caractère honnête et scientifiquement rigoureux » doit être sanctionné. On peut aussi en conclure que « les comités d’éthique », dans leur composition et leurs attribu- tions, n’ont pas vocation et ne disposent pas des moyens leur permettant de se prononcer sur les conditions de réalisation d’une recherche. Pour reprendre les termes de la Recommandation (II-5-d–5) les comités d’éthique sont chargés « de donner des avis éthiques sur les questions éthiques qui se posent en matière de recherche et développement ». En matière de recherche, la confusion entre questionnement et recommandations éthiques et atteinte à l’intégrité scientifique a des effets pervers. Il en est ainsi de l’utilisation des cellules souches embryonnaires humaines. On peut être « pour » ou « contre » sans que le juge soit saisi, si la loi qui la régit éventuellement est respectée. En revanche, un plagiat dans la rédaction d’un ouvrage scientifique est une atteinte à la propriété intellectuelle, une manipulation des données constitue un mensonge. L’un et l’autre doivent être condamnés et sont passibles de sanctions devant un tribunal. Pour répondre à l’exigence des qualités d’intégrité et de propriété intellectuelle, les comités d’éthique ne sont pas pertinents. La responsabilité en revient au chercheur lui-même, charge aux institutions de recherche et aux Etats-membres de mettre en place des dispositifs de formation des chercheurs à l’intégrité, de prévention des atteintes à l’inté- grité et, si nécessaire, de les sanctionner Le citoyen espère des progrès de la recherche, une amélioration de sa condition, en éloignant la maladie voire même la mort. Il a foi dans la recherche et admire les chercheurs. Mais cette foi et cette admiration sont fragiles. Des atteintes à l’intégrité scientifique risquent de les ébranler. Il n’est que de constater le nombre croissant de contestations et de querelles d’experts ou de dénonciations de pratiques frauduleuses. UN AVENIR INCERTAIN : « LA DÉRÉGULATION DE LA RECHERCHE » La référence aux valeurs éthiques, l’exigence de l’intégrité des chercheurs, telles que la Recom- mandation de l’Unesco les a reformulées, et la globalisation de la recherche, posent la question de larégulationde larechercheà travers lemonde. Elle est indispensable, mais est-elle possible ? Le Bigdata , et l’usage qu’en font les GAFAM vont à l’encontre du principe d’autonomie de la personne et de l’obligation du recueil du consentement. Quatre-vingts pour cent des données dites sensibles parmi lesquelles les données person- nelles, sont désormais détenues par les GAFAM. La naissance, en Chine, annoncée le 26 novembre 2018 de Lulu et Nana, deux jumelles « généti- quement modifiées », s’est faite en dehors de tout débat scientifique. La déclaration d’Asilomar date de janvier 2017. Organisée par le Future of Life Institute, la rencontre avait pour objectif d’encadrer le développement de l’intelligence artificielle sous le titre « Une intelligence artificielle bienveillante ». L’éthique de l’intelligence artificielle s’exprime à travers « Les 23 principes » adoptés à Asilomar. On voudrait pouvoir applaudir ! Mais parmi les 1800 signataires de la Déclaration, on trouve Google, Facebook, Apple, Microsoft, Amazon, et IBM. La création d’un Partnership IA a pour objectif de « maîtriser les débats éthiques sur l’intelligence artificielle ». Un financement à hauteur d’un milliard de dollars doit permettre la mise en œuvre « d’une autorégulation éthique » des techniques d’intelligence artificielle. « Maîtriser les débats éthiques », mettre en œuvre « une autorégulation éthique », à vrai dire j’hésite à faire confiance à ce nouveau dispositif pour assurer une régulation efficace et transparente de la recherche. Dépossédés désormais des données qui nous appartiennent au profit des GAFAM, le bien de l’humanité étant souvent perdu de vue, des principes éthiques fondamentaux bafoués, des atteintes à l’intégrité scientifique qui se multi- plient… Il est urgent que les chercheurs, les institutions de recherche et les Etats membres soient conscients des conséquences que ces évolutions peuvent entraîner sur la perception de la recherche par les citoyens. Les chercheurs doivent préserver la confiance que la Société leur accorde.

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