ALS - Magazine 7 - Avril 2020
ALS MAG ALSMag / 43 MALENTENDUS, INCOMPREHENSION, INSTRUMENTALISATION La science réglementaire est controversée par certains qui la considèrent insuffisante pour protéger les consommateurs et l’environnement. Si la critique était valable il y a encore une ou deux décennies, elle est sans doute exagérée actuellement. Les critiques portent sur : f La méthode d’évaluation incapable de prendre en compte les risques émergents (perturbateurs endocriniens, nanotechnologies), les faibles doses et l’effet cocktail. A ce jour, aucune méthode d’essai ou de modélisation n’a réussi à prendre en compte l’effet synergique trop complexe et aléatoire tant au niveau de la science que du droit. f La dénonciation de la stratégie d’entretien et de production du doute qui prolonge la durée de vie du produit sur le marché (industrie du tabac par exemple) : mais paradoxalement, cette stratégie a eu pour effet d’exiger de plus hauts niveaux de preuves en sélectionnant les études sur leur robustesse et leur pertinence et de renforcer les réglements. f Les conflits d’intérêt d‘experts trop proches des industries dans les Comités. Cependant force est de constater que les ONG françaises n’ont pas la culture et le professionnalisme du lobbying institu- tionnalisé à Bruxelles pour constituer un réel contre pouvoir. f La défaillance des inspections pris entre la marteau et l’enclume des textes réglementaires visant à ne pas entraver la libre circulation des biens et des services, le manque de moyens dédiés à l’inspection, mais aussi le processus de régulation de l’industrie par elle-même (autocon- trôle), sa participation à l’élaboration des textes réglementaires. f La non prise en compte de la grande majorité des études académiques. La science réglemen- taire possède en effet un système de cotation de la littérature scientifique basé essentiellement sur des standards de reproductibilité (études BPL 2 , conformes aux lignes directrices de l’OCDE). Ce sont des standards d’assurance de qualité concernant l’établissement de relations doses/ réponse, le matériel, la méthode statistique, l’étalonnage des mesures, les équipements, le stockage des résultats et leur conservation… Ces normes garantissent également la reproducti- bilité et la comparaison. Cependant ces normes sont trop coûteuses pour la science académique excluant en outre d’office leurs résultats à trop faibles doses. Si l’UE s’adapte plutôt bien au temps court de l’économie avec ses agendas destinés à laisser aux entreprises le temps de l’adaptation aux nouvelles contraintes, pour d’autres, la science réglementaire est trop contraignante vis-à-vis de l’innovation, la commercialisation et la concur- rence internationale avec un excès d’application du principe de précaution à différente étapes du processus de mise sur le marché. Si le principe de précaution a été intégré au processus d’éva- luation, il n’a normalement pas à être intégré à nouveau au processus d’harmonisation de la clas- sification des dangers ni de gestion du risque. Ainsi la surclassification de substances CMR peut être un enjeu stratégique par les industriels : effet parapluie dans le processus d’évaluation lié à la gestion de l’incertitude, système économique autour du principe de précaution, compétition entre industriels et investisseurs pour dévaluer une substance et en imposer une nouvelle. Quant à la gestion de risque, étant plus politique que scientifique, que ce soit au niveau des politiques publiques qu’au niveau des politiques de communication des entreprises, une surenchère de mesures de précaution excessive n’est pas rare (pour la présence de substances au seuil de détection ou sous le seuil de quantification, très éloigné des valeurs limites réglementaires et alors que les techniques analytiques permettent des dosages de plus en plus fins). Critiquée pour les intrications et conflits d’intérêts entre instances de régulation et industrie, le fonctionnement, les principes et la méthode des sciences réglementaires demeurent encore trop mal connus des acteurs de la société et son internationalisation est un champ d’étude insuffi- samment étudié en science politique. Souvent mal connue des scientifiques eux-mêmes, des profes- sionnels du droit et encore plus des medias et du grand public, son importance est pourtant capitale au regard des enjeux et débats scientifiques de société. La conséquence directe est la difficulté à appréhender certains débats sociétaux qui oscillent entre deux extrêmes que sont la peur ou la théorie du complot et l’application parfois trop stricte du principe de précaution qui entrave le développement et l’innovation. Mais, fait moins connu et plus difficile à appréhender, la science réglementaire est aussi un vaste terrain de guerre financière et économique. Quelques repères… Jean-FrançoisNarbonne (2007) « L’expertise françaiseen toxicologie :uncasdésespéré ? », La revuepour l’histoireduCNRS (en ligne),16,2007. MarieCamadroetal. (2018) Science réglementaireensanté publique :dequoiparle-t-on?,SantéPublique, 2 (30),187-196. Demortain,D. (2017) Expertise,RegulatoryScience and theEvaluationofTechnologyandRisk: Introduction to theSpecial Issue, Minerva,55(2),139–159. JolyP.B. (2016) Science réglementaire :une internationalisation divergente?L’évaluationdesbiotechnologiesauxÉtats-Unis etenEurope,Revue françaisede sociologie,443-472. JasanoffS. (1998) The FifthBranchScienceAdvisersasPolicymakers, HarvardUniversityPress, 320p. ... 1/ L’EPA etablitune listedeproduitschimiquesconsidéréscomme « inert ingredients» exemptésde toutprocessusd’évaluationmais possédantdes limitationset restrictionsd’usage (émulsifiants, solvants, supports,propulseursd’aérosol,parfums, colorants.. ) parmi lesquelsdescoformulantsdepesticides interditsenEurope. 2/BonnesPratiquesde Laboratoire.
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