ALS - Magazine 7 - Avril 2020

ALS MAG ALSMag / 41 HISTOIRE DE L’EMERGENCE D’UNE NOUVELLE DISCIPLINE Depuis les trente glorieuses, chaque décennie a connu son lot de scandales sanitaires, mettant chaque foisenévidencequ’uneapprochepréventive de la réglementation supposait d’analyser scientifi- quement les risques provoqués par les activités humaines et d’en intégrer l’analyse dans la norme elle-même. Tout a commencé aux USA dans les année 60 avec le livre de Rachel Carson, Silent Spring (1962) qui fut la première prise de conscience du danger des pesticides, venant qui plus est d’une femme travaillant dans ce qui allait devenir la science réglementaire. Les années 70 sont émaillées de nombreux scandales sanitaires qui conduiront à l’établis- sement de normes pour évaluer la sécurité des produits alimentaires et des médicaments. Des directives européennes voient le jour, limitant la mise sur le marché de certaines substances dangereuses , harmonisant des essais et créant des inventaires des substances EINECS – et notamment la distinction entre substances anciennes et substances nouvelles avec un régime strict de déclaration et d’évaluation. Acetteépoque, c’estauxEtatsmembresd’assurer l’évaluation et le contrôle du risque chimique. Les années 80 sont marquées par des scandales sanitaires et leur communication par les pouvoirs publics et les politiques est remise en cause (Tchernobyl 1986, Sang contaminé 1984-85). La surveillance continue des émissions de pollution est mise en œuvre et une partie de la recherche académique va être dédiée à la norma- lisation des tests utilisés pour l’évaluation (OCDE, etc.) . En 1988 apparaît l’obligation d’étiquetage de substances cancerogènes. Dans les années 90, avec les scandales sanitaires du prion (Vache folle) et de l’amiante, apparaît le principe de subsidiarité qui transfère la responsa- bilité sanitaire et environnementale. A la fin de cette décennie, constat est fait de l’échec de la politique réglementaire sur les produits chimiques : pasd’investissementdans lesnouvellesmolécules trop hasardeuses et coûteuses pour les indus- triels, 31 substances effectivement évaluées sur une liste prioritaire de 141 substances. Le Livre blanc sur la « stratégie pour la future politique en matière de produits chimiques » est publié en 2001 par la Commission Européenne. Se mettent alors en place les grands textes régle- mentaires européens (Directive Cadre Eau 2000, Médicaments 2004, Détergents 2004, REACh 2006, Cosmétiques 2009, Phytopharmaceutique 2009, CLP 2008). C’est un tournant important qui fait du modèle européen un modèle unique avec renver- sement de la charge de la preuve puisque c’est à l’industriel d’apporter la preuve que son produit est sûr. Malgré cela, les années 2010 seront à nouveau marquées par de nouveaux scandales sanitaires relevant plus de la fraude intentionnelle (infor- mation délibérement trompeuse et fautive émise par l’entreprise ou par l’un des acteurs de la chaîne de production) que d’un défaut de légis- lation (Médiator 2010, Implants mammaires texturés 2016). PRINCIPES DE FONCTIONNEMENT ET METHODE DE LA DISCIPLINE La science réglementaire n’est pas internationale Si la science est considérée comme universelle, la science réglementaire n’est pas internationale. Née aux Etats Unis, l’Europe en a développé sa propre version qui s’en différencie désormais profondément dans ses principes. En Europe, il existe des grands principes tels que la subsi- diarité, la précaution, la réduction de la pollution à la source et la charge de la preuve au fabricant/ importateur qui n’existent pas aux USA où c’est toujours le gouvernement qui évalue le risque des substances à partir de listes 1 . Les USA se caracté- risent également par des dogmes (équivalence en substance, inerts ingrédients..), des listes et des classifications de danger différentes de l’Europe, une forte judiciarisation (pouvant aller jusqu’à la poursuite d’un Etat par un investisseur), une séparation entre l’évaluation basée sur la science et la gestion politique du risque non basée sur le principe de précaution. L’Europe de son côté accepte plus l’incertitude et l’ignorance qu’elle inscrit dans les textes et elle est plus ouverte à la science académique et à l’avis des ONG et des citoyens. Si certains pays s’alignent sur certains textes de l’UE (Maroc, Ukraine, Moyen Orient pour les cosmétiques par exemple), force est de constater que le Monde s’aligne plus sur les principes de fonctionnement américains qu’européens. Il existe aussi en Europe une procédure de comito- logie unique, inscrite dans le Traité de Maastrich puis remanié dans le Traité de Lisbonne. La Commission propose directives et réglements qui sont ensuite adoptés par le Parlement et le Conseil des Ministres. Mais la Commission, étroitement contrôlée par les Etats, doit proposer sa décision à des comités (composés de représentants des Etats Membres) qui doivent obtenir la majorité qualifiée. C’est au sein même de ces comités, loin des regards, qu’est produite la science réglemen- taire. Dans les domaines sensibles de la santé humaine où les enjeux économiques sont majeurs, les Etats sont parfois incapables de trancher et c’est à la Commission de prendre seule la décision, et elle s’appuie sur la comitologie où les intérêts de l’industrie sont surreprésentés. RachelCarson,SilentSpring (1962)

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