ALS - Magazine 7 - Avril 2020

ALS MAG ALSMag / 35 La sanction par les pairs de l’inconduite du chercheur Les limites du droit pénal et du droit civil face aux hypothèses d’inconduite scientifique conduisent la communauté des chercheurs à travailler à l’ins- titution d’un droit souple de l’inconduite scienti- fique, distinct du droit étatique par ses normes, ses organes et ses sanctions. Un consensus sur les principes directeurs applicables à la recherche scientifique émerge indiscutablement, par exemple avec la Déclaration de Singapour sur l’intégrité en recherche. Parmi les sanctions mises en œuvre, figure la rétractation de l’article scienti- fique vicié par l’inconduite, que la rétractation soit demandée par les auteurs eux-mêmes ou qu’elle soit imposée par l’éditeur de la revue. Avec l’avè- nement des bases de données, la rétractation d’un article cesse de n’être qu’une mesure symbolique prononcée après la circulation effective des exemplaires papiers pour devenir une véritable sanction frappant d’opprobre l’article scientifique vicié. De fait, la rétractation d’un article scienti- fique déroge à la pratique habituelle selon laquelle une publication scientifique doit rester de façon permanente à la disposition des chercheurs, pour le meilleur ou pour le pire si elle contient des erreurs qui ne sont pas le produit d’une inconduite scientifique. Il reste que la sanction de rétractation peut faire l’objet d’une tentative de captation par des intérêts qui espèrent ainsi promouvoir certaines théories ou certains modèles en éliminant des publications. Le risque est donc réel que l’intégrité scientifique soit utilisée comme « le nouvel alibi d’une conception pauvre de l’aventure scientifique » 33 ou pour le dire plus nettement d’une forme de censure exercée par la doxa sur la minorité. C’est la raison pour laquelle, après s’être distanciés du droit et de ses garanties, les scienti- fiques y reviennent nécessairement. Le Rapport Corvol Bilan et propositions de mise en œuvre de la charte nationale d’intégrité scientifique fait en effet référence, par analogie, à la déontologie professionnelle des médecins ou des avocats. L’intégrité scientifique devrait s’imposer en science, « comme s’imposent les codes de déonto- logie pour les médecins et les avocats ». Est-ce à dire que l’intégrité scientifique devrait être une « déontologie du chercheur » ? La formule, quoique séduisante, est quelque peu illusoire. Il n’y a de déontologie que s’il existe des professions organisées par la loi ou par le règlement, le code de déontologie ayant valeur réglementaire. Il existe bien une déontologie de l’avocat, une déontologie du notaire et une déontologie de l’huissier, maisonnesaurait,parexemple,évoquer lato sensu une déontologie des juristes, faute de profession unifiée. La diversité des statuts profes- sionnels et des disciplines des chercheurs réduit donc pour l’heure l’allusion à la déontologie à une simple comparaison. Mais comparaison n’est pas (encore) raison… „ 1/R.Bradbury,Fahrenheit 451,1953,BallentineBooks. 2/A.Huxley,BraveNewWorld, 1932,Chatto&Windus. 3/J.CHEVALLIER, L’indépendancede la recherche, Indépendance(s), Mélangesen l’honneurdeJean-LouisAutin,Pressesuniversitairesde Montpellier,pp.197-214, 2011. 4/CourEDH, 27mai 2014, MustafaErdoganeta.c.Turquie,n° 346/04 et39779/04,DallozActualité,18 juin 2014,obs. N. Nalepa. 5/ L. WATRIN, lesdonnées scientifiques saisiespar ledroit, thèse Aix-Marseille,2016 6/Cons.const.n°83-165DC,20 janvier 1984,Loi relativeà l’enseignement supérieur,cons. 27. 7/Cons.const.n°93-322DC,28 juillet 1993, Loi relativeaux établissementspublicsàcaractère scientifique,culturel etprofessionnel,cons. 7. 8/Cons.const.n°2010-20/21, 6août 2010,JeanC. 9/Rapport sur lesprocéduresbâillons rédigéà lademandeduSecrétaire d’Etatchargéde l’enseignement supérieuretde la recherchepar lacommissionprésidéepar lePr.DenisMazeaud. 10/R. LIBCHABER, «Contre lesprocédures-bâillons :unéloge judiciaire de ladoctrine »,D., 2017,p.2458. 11/G.J.GUGLIEMI, «La juridictionadministrativeestcompétentepour connaîtredesactions forméescontre lesproductionsdes enseignants-chercheurs »,AJDA,2011,p.738,àproposdeCass. 1èreciv.,23 février2011. 12/C.App.Paris,28septembre 2017,RGn°17/00854. 13/C.PUIGELIER, «La recherchescientifique…c’est laguerre ! » inMélangesJacquesMestre, LGDJ, 2019,p. 819s. 14/P.ACCOUTURIER,E.LEICHTNAM, «Chercher sansfinaliser, c’est fondamental», Médiapart, [en ligne], 2010. 15/C.BRUNERIE, Lacommercialisationdes testsgénétiques, MémoiredeM2Droitprivé internationaleteuropéen,sous ladirectiondeH. Fulchiron, 76p., 2019, Mémoiren°21. 16/Décisionn°2007-557DCdu 15novembre 2007. 17/J.-R.BINET,Droitetprogrès scientifique,sciencedudroit, valeurset biomédecine,PUF,2002,préf.C.Labrusse-Riou,postfaceB.Beignier. 18/C.OGIER,Leconflitd’intérêts, thèseSaintEtienne,2008. 19/A.BOYER, Introductionà la lecturedeK.Popper,Éditions Rued’Ulm, reédition, 2017. 20/O.GOSSELIN, « La fraudeestunproduitdérivéde l’excellence», inRevuePoléthis,n°2,p.42 : «Quelleplaceaccorderencoreà l’incertain,au tâtonnement,à la surprise,auxerreursdontonfinit par tirerparti,à la rechercheopiniâtrede réponsesquin’arriveront parfoisqu’aprèsdesannéesoudesdécennies,à la rêverie? » 21/S. LAUDON,L’inconduite scientifique (« scientificmisconduct ») et la responsabilitéduchercheur, thèsedactyl. Montpellier, 2002, dir. M.Vivant. 22/ L. WATRIN, Lesdonnées scientifiques saisiespar ledroit,p.25 s. 23/A.HENRI, «Scienceouverteetéthique, le rôlede l’éditeur », inRevue Poléthis,n°2,p. 17. 24/A.THEBAUD-MONY, La scienceasservie.Santépublique : les collusionsmortifèresentre industrielsetchercheurs,Paris,La Découverte,2014,p.51. 25/S.H.etS.F.,« «Monsantopapers »1| 2 Informationsgénétiquement modifiées - L’affaireSéraliniou lescoulissesd’un torpillage», LeMonde,5octobre 2017 ;A. MASSIOT,«CommentMonsantos’est misdes scientifiquesdans lapoche», Libération,28novembre 2017. 26/C.App.Paris,9novembre2018, infirmantT.corr.Paris, 5 juillet 2017 ; M.HADJENBERG, «Lepneumologuecondamnépournepasavoir déclaré ses liensd’intérêts», Mediapart, 6 juillet 2017. 27/C.App.Paris,13 juillet 1993,Droitpénal, 1994,comm.n°12, J.-H.ROBERT ;Cass.crim., 22 juillet1994,pourvoin°93-83900, JCPéd.G., 1994, II, 22310,noteM.-L.RASSAT. 28/Cass.crim., 20nov. 2012,no11-87531,Comm.com.électr.2013, no1,comm. 7,obs.A. LEPAGE. 29/A.ZOUHAL, Le risqueet ledroitpénal,ThèseRennes,2017 (Dir.E.Verny). 30/TGIParis,28mai 1986,Gribinskietautresc.Société FernandNathan, RTDciv., 1986,p. 553 ; voiraussi M.PORTEY, «La responsabilité d’unéditeur,Carottesoucigüe», LeMonde, 31mai 1986. 31/Cass.1èreciv.,27 février1951,D. 1951,p. 119, « Le silenceet lagloire »,noteJ.CARBONNIER. 32/Cass.1èreciv.,22 janvier 2014,n° 12-35264,RTDciv.2014,p. 383, obs.P.JOURDAIN. 33/ L.COUTELLEC,«Quelle(s)déontologie(s)pour leschercheurs», LeMonde,8-9mai 2019

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