ALS - Magazine 7 - Avril 2020
34 / ALSMag Liberté et responsabilité du chercheur La sanction pénale de l’inconduite du chercheur Il est des hypothèses où l’inconduite du chercheur est tellement sérieuse qu’elle invite à considérer l’application de sanctions pénales. Ainsi, un professeur de pneumologie, entendu en sa qualité de membre de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris par une commission d’enquête du Sénat sur « le coût économique et financier de la pollution de l’air », ne saurait dissimuler les liens d’intérêt qui le lient à une entreprise pétrolière pour laquelle il a travaillé pendant 18 ans. Ce n’est pas l’existence du conflit d’intérêts en tant que telle qui appelle ici la sanction pénale, mais sa dissimulation sous serment par un « faux témoignage » 26 . Dans l’affaire du sang contaminé, des médecins du Centre français de transfusion sanguine avaient pris, en pleine connaissance de cause, la décision de commercialiser aux hôpitaux des lots sanguins contaminés par le VIH, sans révéler cette contami- nation aux établissements opérant ensuite les transfusions sanguines aux patients. Ces médecins furent condamnés du chef de tromperie par appli- cation de l’article. L213-1 du Code de la consom- mation qui prévoit une peine pouvant aller jusqu’à 37500 € d’amendeetdeuxansd’emprisonnement 27 . Ces sanctions de droit pénal de la consommation étaient les seules qui puissent leur être infligées, à l’exclusion des peines sanctionnant l’empoison- nement, dans la mesure où les médecins connaissant le danger des lots sanguins n’avaient pas procédé eux-mêmes aux transfusions : ils avaient laissé mettre sur le marché des produits dangereux. Aucune infraction, en revanche, ne fut retenue à l’encontre du le professeur de médecine dirigeant le Service central de protection contre les rayonnements ionisants qui avait cru devoir La sanction civile de l’inconduite du chercheur. La sanction civile de l’inconduite du chercheur tend à réparer les dommages provoqués par cette inconduite chez des victimes bien identifiées. A vrai dire, la jurisprudence civile est rare et il faut raisonnerparanalogied’affaires inhabituelles.Voici un éditeur qui propose la traduction d’un guide botanique allemand sous le titre Fruits et plantes comestible s, sans y insérer d’avertissement sur le risque de confusion entre les végétaux comestibles et les plantes vénéneuses. Le guide répertorie la « carotte sauvage », hélas très proche de la cigüe aquatique. Sur la foi de cette information sommaire et sans avertissement, une jeune lectrice procède à la cueillette de cigüe et empoisonne un membre de sa famille 30 . Son père engage la responsabilité de l’éditeur. Celui-ci ne peut échapper à sa responsa- bilité ni en invoquant la responsabilité de l’auteur allemand, ni même celle du traducteur. Voici à présent un professeur de sciences physiques de Poitiers rédigeant une notice sur l’histoire de la TSF, notice dans laquelle, après avoir mentionné ses propres contributions, il passe délibérément sous silence le rôle scientifique de Branly et s’éloigne ainsi de l’opinion majoritaire des historiens des sciences. Branly obtient la cassation de l’arrêt lui ayant refusé la réparation du préjudice que lui aurait causé une telle omission 31 . Le Doyen Carbonnier critiquera sévèrement la décision dans unarticledemeurécélèbre :«Deprocheenproche, la Cour de cassation ne peut éviter d’instaurer un contrôle judiciaire de la manière d’écrire l’histoire. Ce contrôle serait relativement aisé si l’histoire n’était composée que de faits simples, dont l’exis- tence pût se vérifier par oui ou par non. Mais l’histoire ne se contente plus d’enregistrer les évènements, elle se préoccupe d’en découvrir les causes ». Aujourd’hui, la primauté reconnue à la liberté d’expression a cependant conduit la juris- prudence à refuser l’engagement de la responsa- bilité civile de l’auteur d’un catalogue raisonné d’œuvre d’arts qui avait sciemment refusé d’y intégrer une peinture dont l’attribution ne faisait pourtant aucun doute 32 . Une opinion confinant au parti pris n’est donc plus susceptible d’engager la responsabilité de son auteur. tenir des propos minimisant l’impact sanitaire du panache de fumées radioactives échappées du réacteur nucléaire de la centrale de Tchernobyl. Sur plainte de la CRIIRAD et de plusieurs victimes de cancers, le scientifique fut mis en examen des chefs d’empoisonnement, d’administration de substances nuisibles, de blessures et homicides involontaires. Un non-lieu fut prononcé faute de pouvoir établir la preuve du lien de causalité entre lasurvenueducancerde la thyroïdedesplaignants et leur exposition au nuage radioactif, preuve quasi-impossible à rapporter en raison du caractère multifactoriel du cancer. Quant à l’infraction de tromperie, un non-lieu fut également prononcé. La communication du scientifique ne s’inscrivait pas en effet dans le cadre d’un contrat conclu ou à conclure (contrairement à l’affaire du sang contaminé) qui constitue la condition préalable de cette infraction 28 . Ces exemples illustrent que le droit pénal est souvent désarmé pour appréhender des inconduites caractérisées ayant conduit à exposer la population à des risques. Cela tient à une pluralité de facteurs. Le droit pénal est d’interprétation stricte ; il suppose de vérifier l’élément moral de l’infraction, c’est-à- dire la conscience qu’en a son auteur. Il suppose encore de vérifier le lien de causalité, de sorte que tous les risques ne sont pas saisis par le droit pénal. Pour autant, une thèse de doctorat souligne que la finalité préventive du droit pénal justifierait qu’il appréhende mieux l’exposition de victimes à des risques graves et plausibles. Elle propose ainsi d’aggraver la sanction prévue à l’article 223-1 du Code pénal réprimant le délit de risque causé à autrui en cas d’exposition de la collectivité à un dommage de masse en connaissance de cause 29 . LA SANCTION DE LA RESPONSABILITÉ DU CHERCHEUR La sanction de la responsabilité du chercheur peut être recherchée devant les tribunaux ou par les pairs, chacune de ces deux voies présentant certaines limites en l’état actuel.
Made with FlippingBook
RkJQdWJsaXNoZXIy MTIzMTM=