ALS - Magazine 7 - Avril 2020

ALSMag / 31 ALS MAG UNE LIBERTÉ CANALISÉE La canalisation par les financements. Si, en droit, les garanties statutaires ménagent au chercheur une indépendance lui permettant indivi- duellement de choisir l’orientation de sa propre recherche, les politiques de recherche orientent collectivement les choix des chercheurs, notammentpar lefléchagedecréditsderecherche sur les projets. L’outil privilégié de cette orientation est la contractualisation de projet, subordonnant le financement à l’inscription de la recherche dans les axes définis par les financeurs. Le rapport de la Cour des comptes, intitulé Le financement public de la recherche, un enjeu national, met ainsi dès 2013 l’accent sur les financements sur projet. A l’évidence, la disponibilité de crédits suffisants présente un impact direct sur les moyens techniques, scientifiques et humains mis à dispo- sition des équipes de recherche, leur donnant ainsi un avantage compétitif pour parvenir les premiers à des résultats. On a ainsi pu écrire, de façon imagée, que « La recherche scientifique … c’est la guerre ! » 13 , pour souligner la vigueur de la compétition entre scientifiques. Mais dans cette compétition, la qualité des hommes demeure déterminante, certains programmes largement financés n’aboutissant à aucun résultat probant là où, au contraire, des programmes peu dotés ont réalisé des avancées importantes. C’est bien pourquoi les politiques de recherches, qu’elles soient publiques ou privées, orientent la recherche sans la déterminer complètement. En outre, la recherche fondamentale se coule mal dans le moule des projets. Comme le soulignent Pierre Accouturier et Eric Leithman dans un article publié à l’occasion des 5 ans de l’Agence nationale de la recherche, « A trop vouloir prévoir ce que l’on veut trouver, on trouve rarement quelque chose d’inté- ressant » 14 . La canalisation par la règle de droit La règle de droit vient également canaliser la liberté du chercheur en prohibant la recherche sur certains objets ou encadrant strictement ses finalités. Deux exemples actuels permettent de l’illustrer, l’un dans le domaine de la génétique, l’autre dans le domaine des statistiques. D’abord, la commercialisation de tests génétiques dits « récréatifs » connaît un grand succès sur l’internet, que les clients souhaitent ainsi identifier les groupes ethniques auxquels ils se rattachent, qu’ils souhaitent rechercher un parent inconnu ou encore s’essayer à la médecine prédictive à la lumière de leur génome. Lorsqu’ils envoient un échantillon ADN à un opérateur commercial le plus souvent établi étranger, ils renoncent par contrat à tout contrôle ultérieur sur leur ADN qui sera stocké puis exploité à l’étranger dans le cadre d’activités encore indéterminées. Il a ainsi été observé que ces contrats de commerciali- sation des tests génétiques reposent à la fois sur une autonomie faussée de la personne consen- tante et sur l’implication forcée des apparentés non-consentants 15 . Ainsi, par application de l’article 16-10 du Code civil, le droit français n’autorise les tests génétiques qu’aux seuls fins médicales ou de recherche scientifique, selon les garanties énoncées par le Code de la santé publique. Et l’article 226-28-1 du Code pénal édicte une amende de 3 750 € contre quiconque sollicite l’examen de ses caractéristiques génétiques en dehors des conditions prévues par la loi. C’est donc la finalité qui guide, ou devrait guider, la possibilité de réaliser certaines opérations. Mais ici, les autorités françaises ont laissé prospérer, sans réagir, la commercialisation des tests génétiques récréatifs. Ensuite, la collecte de statistiques ethniques fait, elle aussi, débat entre ceux qui redoutent une utilisation politicienne de ces statistiques et ceux qui y voient un outil démographique d’analyse du réel. La loi Informa- tique et liberté énonçant le principe de l’inter- diction de la collecte et du traitement des données à caractère personnel faisant apparaître direc- tement ou indirectement les origines raciales ou ethniques, le projet de loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile avait entendu autoriser la collecte de données ethniques et la réalisation de statistiques dans un cadre contrôlé. Cette dérogation à l’interdiction de principe était proposée pour la « conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration ». Dans sa décision du 15 novembre 2017 16 , le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnelle une telle dérogation à l’interdiction de la collecte et du traitement des données : « Si les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé à l’article 1er de la Constitution, reposer sur l’origine ethnique ou la race ». Pour autant, les démographes peuvent néanmoins travailler dans un cadre étroit : ils peuvent collecter et traiter des données sur le nom de famille, sur la nationalité antérieure à la natio- nalité française et même sur « le ressenti d’appar- tenance ». Ici encore, c’est la finalité des études qui détermine leur licéité et les garanties strictes entourant les recherches. La loi n’interdit donc pas la recherche : elle entend, autant que possible, la canaliser selon les finalités acceptables par les valeurs sociales du moment. CRÉDITS RECHERCHE CRÉDITS RECHERCHE

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