ALS - Magazine 7 - Avril 2020
30 / ALSMag Liberté et responsabilité du chercheur La protection du chercheur contre les procédures-bâillons. L’issue normale d’une activité de recherche réside dans la publication d’un article scientifique ou d’un ouvrage, dont les conclusions ne sont pas toujours favorables aux intérêts catégoriels ou personnels de certains opérateurs économiques. Il peut en aller ainsi de la publication d’un biochimiste mettant cause les intérêts de l’industrie pharma- ceutique, de la publication d’un professeur de droit de l’environnement mettant en cause les intérêts d’entreprises dites de dépollution, des travaux d’un professeur de sciences économiques sur la concurrence sur le marché des télécoms mettant en cause les intérêts d’un opérateur de la téléphonie mobile ou encore de la publication d’un enseignant-chercheur en littérature française relative au plagiat mettant en cause les intérêts des plagiaires. Afin de bâillonner ces chercheurs et de décourager les autres, les opérateurs intro- duisent désormais des actions judiciaires d’intimi- dation, connues en anglais comme les Strategic Lawsuit Against Public Participation et en français comme les procédures-bâillons 9 . L’action en diffa- mation constitue un premier type de procédure- bâillon. « Par la violence exercée contre un auteur brusquement expulsé de sa tour d’ivoire doctrinale, l’assignation produit un effet d’intimidation considé- rable qui vise au-delà de la personne poursuivie » 10 . Mais la jurisprudence veille à protéger l’indépen- dance des chercheurs. Tout d’abord, au plan procédural, elle affirme la compétence des juridic- tions administratives pour connaître des actions formées contre les productions des enseignants- chercheurs 11 . Ensuite, au fond, elle veille à garantir la liberté d’expression, nécessaire à l’épanouis- sement de la liberté académique. Ainsi, dans l’affaire où des sociétés de l’industrie chimique avaient cru pouvoir agir en diffamation contre un professeur de droit ayant commenté dans une revue juridique une décision de justice les concernant, la Cour d’appel de Paris décide que « la liberté d’expression intéresse un profes- sionnel du droit dont l’activité, pour une part importante, tient à l’analyse des décisions judiciaires qui n’a pas seulement pour objet d’être didactique, mais doit encore nourrir le débat sur les orientations de la jurisprudence, qu’il s’agisse d’y adhérer ou de proposer des évolutions souhaitées ». Elle ajoute que, « dès lors que ne sont ni établies ni même évoquées une animosité personnelle vis-à-vis des personnes morales ou physiques en cause, ou bien l’existence de propos étrangers à la question de droit traitée, le seul fait d’examiner le caractère diffamatoire d’un article tel que celui rédigé en l’espèce (…) est une atteinte à la liberté d’expression de l’auteur » 12 . Certains secteurs de la recherche, notamment dans le domaine biomédical, relèvent à la fois d’une science et d’un art. Ainsi, le médecin est à la fois un chercheur et un praticien soumis à la discipline du Conseil de l’Ordre. Les poursuites disciplinaires devant ces juridictions spécia- lisées, aux fins de radiation, constituent une seconde forme de procédure bâillon, par l’impact très négatif qu’elles ont sur la réputation d’un chercheur, y compris lors- que les allégations sont sans fondement. ces derniers devaient bénéficier d’une représen- tation propre dans les conseils d’université. L’indépendance fonctionnelle des enseignants- chercheurs, y compris celle des enseignants- chercheurs autres que les professeurs d’uni- versité, a ensuite été reconnue au motif que « par leur nature, les fonctions d’enseignement et de recherche exigent, dans l’intérêt même du service, que la libre expression et l’indépendance des enseignants-chercheurs soient garanties » 7 . Finalement, la protection de l’indépendance fonctionnelle a été étendue à tous les ensei- gnants-chercheurs du secteur public qu’ils aient ounon lestatutdeprofesseur .Leschercheursdu secteur privé ne bénéficient hélas pas, du fait même de leur statut, de la même protection constitutionnelle de leur indépendance. En tant que salariés de droit privé liés à leur employeur paruncontratde travailcréantun liendesubordi- nation, ils doivent nécessairement se conformer aux buts et à l’orientation que leur employeur assigne à leurs travaux. Le plus souvent, dans les entreprises industrielles, pharmaceutiques ou de la société de l’information, les travaux de recherche sont ordonnés au but de renforcer la position de la société sur le marché et d’accroître ses actifs immatériels. Aussi sophistiqués ces travaux soient-ils, ils relèvent davantage des études que de la recherche, faute de satisfaire au critère d’indépendance. .../...
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