ALS - Magazine 7 - Avril 2020

ALSMag / 29 UNE LIBERTÉ GARANTIE La liberté de la recherche, un droit fondamental La liberté du chercheur tient d’abord à ce que, dans l’Union européenne, la liberté de la recherche est érigée en droit fondamental. Ainsi, l’article 13 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union pro- clame que « Les arts et la recherche scientifique sont libres. La liberté académique est respectée ». Cette liberté de la recherche scientifique est étroi- tement liée à la liberté d’expression qui permet au chercheur d’accéder à un corpus de connais- sances librement publiées et ensuite de faire connaître ses propres résultats à ses pairs et à la société dans son ensemble. L’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales proclame pour sa part que«Toutepersonneadroità la libertéd’expression. Cedroitcomprend la libertéd’opinionet la libertéde recevoir ou de communiquer des informations et des idéessansqu’ilpuisseyavoir ingérenced’auto- rités publiques et sans considération de frontières ». La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi décidé que la liberté académique emportait « la possibilité pour les universitaires d’exprimer librement leurs opinions, fussent-elles polémiques ou impopulaires, dans les domaines relevant de leurs recherches, de leur expertise professionnelle et de leur compétence » 4 La liberté de la recherche, un droit garanti par la Constitution. Le droit européen des droits de l’Homme rejoint, en droit français, l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen consacrant la liberté de communication des pensées et des opinions. Il convient cependant de préciser ici l’ori- ginalité de la liberté d’expression du chercheur scientifique. S’il collecte indiscutablement des données 5 , le chercheur scientifique n’est pas qu’un producteur de données puisqu’il inscrit les données recueillies dans une théorie. Et lorsqu’il interprète ou commente les données recueillies, le chercheur n’exprime pas une opinion au sens subjectif et ordinaire,voirerelatifdu terme. Il inscrit lesdonnées recueillies dans une hypothèse et un modèle scien- tifique qu’il sera possible de réfuter. Un chercheur énonce des résultats et les commente, là où un profane n’émet que des opinions. Les garanties statutaires de l’indépendance En France, la liberté du chercheur tient ensuite et surtout aux garanties statutaires d’indépendance qui lui sont ménagées, en particulier lorsqu’il relève de l’enseignement supérieur et/ou de la recherche publique. L’article L.952-2 du Code de l’éducation dispose en effet que « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objec- tivité ». Il s’agit donc d’une garantie fonctionnelle en cequ’elleprotège l’exercicemêmede la fonctionde recherche. Les chercheurs publics ne relevant pas de l’enseignement supérieur bénéficient de garanties analogues en vertu de l’article L.411-3 du Codede larecherchedisposantque«Pour l’accom- plissement des missions de la recherche publique, les statuts des personnels de recherche ou les règles régissant leur emploi doivent garantir l’auto- nomie de leur démarche scientifique ». Si ces garanties statutaires sont énoncées par des dispo- sitions de valeur législative, elles sont en réalité solidement ancrées dans le bloc de constitution- nalité, de sorte qu’une loi qui viendrait limiter indûment la liberté du chercheur public serait inconstitutionnelle. La protection constitutionnelle de l’enseignant-chercheur résulte d’une jurispru- dence bien établie du Conseil constitutionnel. C’est par une décision du 20 janvier 1984 6 que le Conseil constitutionnel a érigé au rang de Principe fondamental reconnu par les lois de la République l’indépendance institutionnelle des professeurs d’université, en reconnaissant que .../... LA LIBERTÉ DU CHERCHEUR Le chercheur déploie son activité de recherche dans un champ scientifique donné, caractérisé par des méthodes propres, un corpus de connaissances établi par ceux qui l’ont précédé et des hypothèses à vérifier ou à infirmer. Le champ scientifique, dans lequel se déploie la recherche fondamentale, obéit ainsi à des règles de fonctionnement qui lui sont propres et qui échappent dans une large mesure, ou devraient échapper, à l’emprise tant du politique que du marché. Comme le relève un auteur, « une ligne de démarcation doit ainsi être tracée entre la fonction de «recherche » et la fonction d’«étude» : entreprises à la demande d’un commanditaire (politique, économique ou administratif) qui en fixe l’objet, définit la problématique et se réserve l’exploitation des conclusions, les études ne répondent pas au critère d’indépendance requis par la démarche scientifique ; si le chercheur peut dès lors être amené à répondre à une commande en effectuant des études, c’est en marge de son activité de recherche » 3 . La liberté du chercheur se trouve ainsi garantie par son indépendance mais orientée par les politiques de recherche et par les règles d’ordre public. ALS MAG

RkJQdWJsaXNoZXIy MTIzMTM=