ALS - Magazine 7 - Avril 2020
ALS MAG ALSMag / 17 L’OPTIMISATION DES TECHNIQUES UTILISÉES POUR LA DÉTECTION, LA PRÉSERVATION, LE PRÉLÈVEMENT ET L’EXPLOITATION AMPLIFIE LES PHÉNOMÈNES DE COMPLEXITÉ ET ENRICHIT LA CONSTRUCTION DE LA VÉRITÉ. MULTIPLICATION, COMPLEXITÉ ET RAPIDITÉ D’OBTENTION DE CES ÉLÉMENTS DE PREUVE Les sciences n’ont cessé de progresser, tant par leur précision, leur sensibilité, leur technologie, ou leur facilité d’exploitation et ont, de fait, entraîné de nombreux bouleversements au procès pénal. Actuellement la biologie au travers de l’ADN est l’indice qui fait le plus parler de lui, car il permet des identifications formelles du fait de sa composante génétique, et parce que désormais, quelques dizaines de cellules humaines suffisent pour obtenir un profil génétique. En outre, l’infor- mation génétique permet d’obtenir des informa- tions phénotypiques 13 (couleur des yeux, de la peau...) et sur la parentèle. L’existence d’une base de référence FNAEG 14 facile à interroger et de la bonne conservation dans le temps de l’ADN facilitent son utilisation. Cet indice biologique est d’autant plus riche qu’en plus de la génétique, séquence nucléotidique (ADN) issue d’une trans- mission parentale, nos experts peuvent désormais utiliser les caractères épigénétiques 15 de l’ADN qui sont des mécanismes révélateurs de l’environ- nement et de certains comportements du porteur, modifiant l’expression des gènes sans en affecter la séquence nucléotidique. Ainsi l’âge, le fait d’être fumeur, de se droguer et bien d’autres points peuvent désormais assez facilement être déterminés avec des précisions ne cessant de s’améliorer. Désormais un jumeau fumeur peut être distingué « génétiquement » du jumeau non-fumeur par l’analyse des aspects épigéné- tiques de son ADN. La chimie et la physique connaissent les mêmes évolutions et révolutions, et je ne parlerai que de l’empreinte olfactive qui permet l’identification d’un individu au travers de l’odeur qu’il dégage 16 . Un voleur de voiture avec gant et masque laissera sur le siège une odeur qui lui est propre et qui une fois prélevée, analysée et comparée dans une base, permettra son identification formelle. Les équipements analytiques permettent désormais d’être aussi spécifique qu’un chien, mais en fournissant des résultats scientifiques démontrés et donc réfutables devant une juridiction. Néanmoins ce sont les techniques de l’information et le monde numérique qui impactent le plus les sciences criminelles d’aujourd’hui et de demain. La téléphonie, les ordinateurs, les véhicules et les objets connectés constituent des sources de données inimaginables par le non-spécialiste, tant ces objets technologiques partagent les informa- tions qu’ils reçoivent ou qu’ils détiennent. Ces milliards d’informations sont constitués de « log » ou parties de codes présents sur des serveurs, des calculateurs ou sur des mémoires sous formes de quelques dizaines d’octets spécifiques, qu’il faut être en mesure de retrouver, d’associer à l’émetteur, de temporaliser et d’interpréter. Ainsi, un véhicule 17 contient de nombreux calculateurs et ordinateurs et échange constamment des milliers de données. Il est possible de déterminer ses trajets, voire de savoir quelle porte a été ouverte et à quelle heure, et les premières études sont réalisées afin de déterminer la signature d’un conducteur unique au travers de son style de conduite : sa manière d’accélérer, de freiner, ou de passer les vitesses entre autres, qui sont mémorisées ou échangées par le véhicule. Autant d’expertises de données difficiles à comprendre, complexes à réaliser et dont la signification dans un processus infractionnel de causalité reste complexe à formaliser. Ces exploitations de données sont actuellement réalisées, automati- quement, à grande échelle, sans difficulté par les annonceurs au travers leurs algorithmes, comme nous pouvons le constater tous les jours sur nos ordinateurs,smartphonesou tablettesconnectées. Figure4 : Le retraitementdedonnées Les évolutions techniques, et la résolution d’affaires anciennes grâce à de nouveaux outils forensiques, ont fait prendre conscience de l’importance de prélever, conserver et préserver les indices d’une scène de crime pour une exploi- tation ultérieure, car ils pourront constituer de nouveaux éléments de preuves pour faire émerger une vérité qui n’aura pu être qu’approchée. La captation conservatoire des données numériques devient un enjeu pour la justice de demain, au même titre que la préservation d’indices matériels dont l’exploitation s’affine avec le temps. Si dans l’imaginaire de chacun, le temps du procès pénal était celui de la découverte de la réalité des faits au travers de la présentation de preuves ou d’aveux, incriminants ou non, et de leur rigoureuse démonstration et intégration dans le processus infractionnel supposé, la multiplicité et la complexité des éléments recueillis actuellement, ne permet plus que rarement cette démonstration factuelle compréhensible. L’accessibilité possible à tous des données numériques, la rapidité du traitement des indices, leur multiplicité dont la valeur informative individuelle varie en fonction des résultats obtenus précédemment, et de leur positionnement dans la chaîne de causalités impose au décideur une nouvelle approche de son exploitation des preuves. Les médias et les réseaux sociaux ne doivent pas constituer un concurrent dans la recherche et l’émergence de cette vérité judiciaire. Désormais, il faut disposer d’outils pour pouvoir apprécier ces éléments scientifiques dans la succession de faits constitutifs de la manifestation de la vérité. Un seul cerveau, ni plusieurs, ne peuvent relever objectivement les éventuelles contradictions d’une procédure comprenant des milliers de pages, des centaines de résultats scientifiques, autant de preuves dont la réalité n’est pas immédiate pour le profane et dont la précision scientifique et la recherche de justesse, nuisent à l’intégration dans une chaîne de causalité, déjà incomplète par construction. Nous vivons une époque où pour juger, il faut se faire assister d’algorithmes dédiés à cet effet, si l’on ne veut pas vivre des contradictions de jugement incompréhensibles. Il faut s’approprier les outils 18 pour ne pas les voir s’imposer sous forme d’algo- rithmes de justice prédictive 19 qui seraient recon- nus plus fiables que l’humain. Figure5
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