ALS - Magazine 7 - Avril 2020

ALSMag / 15 Si l’on veut commencer par une entrée médiatique de la science au procès pénal, il nous faut parler d’Orfila, éminent toxicologue du début 19 ème siècle. Ce toxicologue utilisa une méthode de recherche des poisons par l’emploi d’une technique chimique complexe. Les empoisonnements constituaient un cas difficile, avant qu’on ne puisse les démontrer, car il fut une époque où les poisons étaient facilement accessibles pour lutter contre les nuisibles et il fallait pouvoir démontrer un empoi- sonnement pour instruire en justice. Naturel- lement, les toxicologues étaient en première ligne lorsque les signes sur le corps n’étaient pas évidents, et contrairement à beaucoup d’autres constatations, la compréhension des résultats n’était pas évidente pour un non-spécialiste. Les dépositions des experts étaient donc très suivies au procès sans parler des querelles d’experts. Ainsi sur une des premières affaires judiciaires très médiatiques traitant de l’empoisonnement à l’arsenic, le grand toxicologue Orfila rendra un résultat qui aboutira à la condamnation de Madame Lafarge, accusée d’avoir empoisonné son mari à l’arsenic 4 . La technique employée pour détecter l’empoisonnement à l’arsenic, reposait sur le Test de Marsh Berzellius, qui consiste à dissoudre une quantité de matière biologique à analyser (prélevée sur la victime), dans de l’acide chauffé en présence de zinc, et de regarder se condenser, ou non, un miroir d’arsine sur le flacon, signalant ainsi la présence d’arsenic dans le prélè- vement et donc l’empoisonnement de la victime. La problématique qui s’est rapidement posée est que certains composés comme l’antimoine ont une réaction assez semblable à ce test, ce qui peut induire une confusion dans la conclusion de l’expert, les chimistes parlent d’un test peu « spécifique ». Une seconde notion importante est la notion de « sensibilité » à ce test, qui est aussi un facteur essentiel pour pouvoir conclure, car l’arsenic est naturellement présent en très faible quantité dans le corps humain, et l’analyse doit pouvoir distinguer ces traces dites « chroniques » (naturel- lement présentes), d’une intoxication « aiguë » liée à un empoisonnement, par apport extérieur important. À l’époque ce problème n’avait pu être tranché convenablement. Suite à des débats contradictoires d’experts, Madame Lafarge sera graciée au regard de la fragilité des résultats scientifiques retenus comme éléments de preuve à charge au procès pénal. Une normalisation des méthodes d’analyse s’imposait. De prime abord, la vérité des faits scientifiques n’est par « construction » que provisoire et doit sans cesse être remise en question. Cette posture de scientifique n’est guère encourageante pour un juge sollicitant les expertises. Afin de garantir la fiabilité des résultats scientifiques lors d’un procès et éviter des querelles scientifiques sur les résultats, la Cour suprême des États-Unis a établi des règles « jurisprudence dite Daubert » en 1993 de recevabilité de la preuve scientifique au procès : une science dont les méthodes sont partagées et reconnues par les experts du domaine, une absence de dogmatisme, une acceptation de la réfutabilité et des incertitudes de mesures connues, entre autres 5 . En Europe les laboratoires de sciences « forensiques » dédiés à l’expertise scientifique, qui travaillent au profit de la justice, doivent être accrédités selon la norme ISO17025, l’organisme accréditeur en France étant le COFRAC 6 . Cette norme structure les méthodo- logies de la pratique de l’expertise, les conditions d’emploi des méthodes, l’environnement de travail, la formation et la qualification des experts, la traçabilité des échantillons, le contrôle des résultats par des tests croisés, le choix des méthodes et leur robustesse, leur limite de validité et toute une série de contrôles matériels et d’environnement permettant ainsi de garantir la fiabilité d’un résultat donné. Les résultats ainsi obtenus sous accréditation peuvent être facilement échangés en Europe et sont reconnus par lesexpertsayantà lesréétudier.Lesexpertises enempreintesgénétiquesnepeuventêtre rendues en Europe, du fait de la loi, que sous accréditation du laboratoire et des experts. Afin de garantir les résultats finaux d’une expertise, il s’avère essentiel de garantir l’origine initiale des indices prélevés, de leur détection au prélèvement en passant par la qualité de leur préservation et stockage. Figure 2 :Le relevé systématiquede traces Figure 1 : La détection et la recherche de poisons a longtemps reposé sur des réactions chimiques peu sensibles et peu spécifiques. Figure 2 : De manière à disposer d’indices pertinents issus de la scène de crime ou d’infraction, il a fallu spécialiser les enquêteurs, les doter d’équipements de plus en plus complexes (ici les premiers appareils photos). Figure 3 : Désormais afin de garantir et fiabiliser les prélèvements dans le temps, et quel que soit l’environnement, le maximum de précautions sont prises pour protéger les zones de prélèvements et les spécialistes. Ici intervention des gendarmes du groupe d’intervention en milieu dégradé (GRID) dans une zone contaminée chimiquement. Figure 4 : Les techniques analytiques modernes nécessitent de disposer d’ordinateurs puissants, d’algorithmes performants afin d’exploiter les résultats bruts et leur donner une expression compréhensible pour un profane. Ici une chromatographie bi-dimensionnelle à détection par spectrométrie de masse utilisée pour l’analyse des odeurs humaines. Figure 5 : Un peu d’humour pour apprécier la prise en compte d’une scène de crime

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