ALS - Magazine 6 - Septembre 2017

8 / ALS Mag électronique a nécessité la fabrication de silicium très pur, la révolution de la fibre optique n’aurait pas pu avoir lieu sans la capacité de disposer de verres de très haute pureté avec un gradient d’indice. Et alors que les applications fonction- nelles des matériaux concernaient de faibles tonnages, l’émergence de « l’internet des objets », le développement des énergies alternatives laisse prévoir des carences en terme d’approvision- nement et corrélativement des besoins accrus de recyclage, rendu difficile par leur dispersion. Au cours des siècles le lieu d’utilisation des matériaux s’est découplé du lieu de production, les familles de matériaux disponibles se sont considérablement enrichies, les exigences diver- sifiées ont conduit à une diversification de l’offre, l’émergence de nouveaux objets industriels et l’optimisation des matériaux sont de plus en plus fortement couplées. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à ce qu’on a pu appeler « l’hyper-choix des matériaux ». Le nombre de matériaux disponibles pour l’ingé- nieur est énorme. Les procédés pour les mettre en œuvre sont très variés, de nouvelles classes de matériaux, comme les mousses, sont entrées dans notre quotidien. On découvre tous les jours de nouveaux matériaux, mais un nombre limité d’entre eux quitte le laboratoire. Et malgré la variété des matériaux disponibles, dans chaque domaine applicatif, un nombre limité de familles sont dominantes : dans le bâtiment, les verres, les aciers et les bétons, dans l’automobile, les aciers, les alliages d’aluminium et les composites polymères, dans la microélectro- nique, le semi-conducteur largement dominant reste le silicium. (Figure 5) Cette situation d’hyper-choix des matériaux a conduit à développer des bases de données et des outils de sélection qui n’en sont qu’à leurs débuts. Le problème de capture de l’expertise, la question de la maitrise des procédés de plus en plus instrumentés conduira très probablement à des interactions accrues entre l’ingénierie des matériaux et des domaines tels que l’intelligence artificielle ou la gestion des « big data ». VERS LA CONCEPTION DE MATÉRIAUX SUR MESURE ET LA BIO-INSPIRATION Au début, le matériau est à peine différent de la matière, c’est le « matériau de rencontre », celui que l’on ramasse comme on cueillerait un fruit. C’est toujours la prééminence du matériau de rencontre que nous retrouvons jusqu’à la fin du Moyen Âge. Mais à force d’utiliser un matériau dont on a l’habitude, on s’efforce de l’améliorer, par essai ou erreur tout d’abord, puis progressi- vement en s’appuyant sur une compréhension approfondie de la cause microscopique des phénomènes. Cette démarche « d’optimisation des matériaux », dépassant la simple tradition, a été l’une des conséquences majeures de l’émer- gence de la science des matériaux. La variété des matériaux augmentant, les exi- gences sur les matériaux devenant de plus en plus drastiques, les différentes solutions entrent en compétition : le tropisme du « matériau de rencontre » est oublié, mais même le matériau « dont on a l’habitude », le matériau que l’on croit optimisé, est menacé dans ses domaines de prédi- lection. C’est le pendant de l’hyper-choix des matériaux, la compétition féroce pour remplir les cahiers des charges. Cette compétition conduit à une évolution de la relation au matériau : on doit intégrer dans la réflexion non seulement les propriétés, mais les conditions de mise en œuvre, et de ce rapprochement entre la science des matériaux et la conception naît un nouveau regard sur les matériaux : ce n’est plus simplement le matériau optimisé, c’est le « matériau sélec- tionné » qui devient la norme. (Figure 6) Enfin la dernière étape, celle dans laquelle nous entrons aujourd’hui, est la plus éloignée du « matériau de rencontre », c’est le « matériau sur mesure », celui qui n’existe que par le carnet des charges qui l’exige, celui qui combine des propriétés contradictoires qu’aucun matériau « normal » ne devrait présenter. Et pour développer DU MATÉRIAU RARE À L’HYPER-CHOIX DES MATÉRIAUX. Dans le même temps que naissait une science des matériaux, l’objet de son étude se modifiait lui-même profondément. Aux temps préhistoriques les seuls matériaux utilisés par nos ancêtres étaient les matériaux naturels, qu’ils soient minéraux ou organiques. Le choix des matériaux était essentiellement limité par leur proximité. Un peu plus tard, disons autour de -50, la variété des matériaux disponibles avait considérablement augmenté. Les Romains avaient une excellente connaissance des céramiques, du verre, utili- saient la pierre mais aussi le mortier, et le travail des métaux, argent, or, étain, plomb, bronze et fer martelé, témoignait d’une bonne connaissance empirique de la métallurgie, moindre toutefois que celle rencontrée beaucoup plus tôt dans les civili- sations extrême-orientales. Contrairement aux temps préhistoriques, les matériaux, et en parti- culier les matériaux métalliques, et même les poteries, voyagent sur de grandes distances (l’analyse des éléments traces dans les alliages est même une méthode d’étude des migrations de population). Entre l’empire romain et la fin du Moyen Âge, le monde des matériaux évolue relati- vement peu. Le dix-neuvième siècle est sans aucun doute le siècle des métaux, et en particulier des matériaux ferreux. Fontes et aciers permettent la construction de ponts, de navires, de trains, puis des voitures. La révolution industrielle est autant celle de l’acier que celle de la vapeur. Cette époque est celle de la production de masse, et du transport des matériaux sur le site de la mise en œuvre. Le vingtième siècle voit deux révolutions : les métaux et les céramiques régnaient en maitres. Les polymères artificiels, fabriqués à partir du pétrole, font leur apparition, avec la fascinante variabilité de leurs propriétés, et la capacité de « construire » la matière au niveau atomique, en jouant sur l’arrangement des chaînes. La seconde révolution du vingtième siècle est l’apparition en force des matériaux fonctionnels, en beaucoup moins grande quantité, mais avec de très fortes valeurs ajoutées. La révolution de l’énergie électrique avait été rendue possible avec des matériaux déjà existants. La révolution de la micro- La science et l’ingénierie des matériaux : de l’histoire à la prospective Figure 6 Figure 5

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