ALS - Magazine 6 - Septembre 2017
ALS Mag / 43 ALS MAG Son élément constitutif, le tissu vivant, a une composition et une organisation structurale complexes mais optimales pour conférer à l’organe dont il est issu des propriétés essentielles pour la fonction physiologique. Il n’est pas aisé de reproduire ces propriétés particulières par assemblage de matériaux synthétiques, notamment par biomimétisme. La compréhension profonde des mécanismes conférant au tissu vivant ses remarquables propriétés est primordiale pour la mise au point de thérapies efficaces, de certaines techniques chirurgicales, pour la fabrication de bio-prothèses, etc. Ces mécanismes sont plus ou moins bien maîtrisés et sont pour bon nombre d’entre eux fortement régis par les lois de la mécanique. En effet, l’une des premières applications de la mécanique au domaine de la biologie semble être due à Aristote (384 – 322 avant J.C.) qui présenta une remarquable analyse du mouvement péristaltique de l’urètre dans le transport de l’urine du rein à la vessie. Les nombreuses interventions de la mécanique dans le domaine de la biologie ont conduit à l’émergence du champ scientifique connu sous la dénomination de biomécanique. La plupart des travaux menés dans ce cadre considèrent le milieu vivant comme un matériau inerte doté d’une microstructure particulière. C’est une approche pertinente pour de nombreuses applications qui permet entre autres d’améliorer les caractéristiques des bio-prothèses ou de construire des modèles d’organes virtuels à intégrer dans des simulateurs chirurgicaux. Ces outils d’apprentissage du geste chirurgical seront à l’avenir incontournables dans la formation du chirurgien et sont d’ores et déjà utilisés à Nancy dans le cadre de l’Hôpital Virtuel de Lorraine. 2 À ce jour, ces outils de formation de premier plan ne sont pas suffisamment réalistes pour permettre un apprentissage poussé du geste chirurgical. L’amélioration de ces dispositifs repose en partie sur l’inté- gration de modèles plus réalistes du tissu vivant et de son aptitude à se déformer au contact de l’instrument chirurgical. Dans une autre approche de modélisation du tissu vivant, on s’efforce de prédire les évolutions de la structure et des constituants biologiques sous l’action de stimuli biophysiques (Figure 5). Cette démarche en pleine expansion est connue sous la dénomination de mécanobiologie et intègre des aspects tels que la morphoméca- nique. Les travaux menés dans ce dernier cadre sont liés aux processus de croissance (qui trouvent des applications directes en cancéro- logie), au remodelage (variation des propriétés du matériau), et à la morphogénèse. La qualification du comportement du tissu vivant et les modélisations mathématiques des diverses évolutions associées mobilisent de nombreux chercheurs. Les résultats de ces travaux ont des applications immédiates sur le plan clinique et industriel. Elles offrent également des perspec- tives pour de nouvelles pratiques thérapeutiques et de nouvelles stratégies d’apprentissage chirurgical. CONCLUSION En définitive, l’adjectif « vivant » peut revêtir plusieurs significations. Attribué à des matériaux, il évoque souvent le fait que ces derniers peuvent, au cours de leur cycle de vie et de leurs interac- tions avec le milieu extérieur, vieillir et présenter des pathologies que l’on peut prévenir par de bonnes pratiques. La « mort » du matériau peut alors être évitée ou au moins significativement retardée et/ou avec gestion optimisée des résidus en fin de vie. Il en va ainsi du bois et du béton, par exemple. Mais si le bois, matériau rêvé pour l’ingé- nieur qui permet à des arbres d’atteindre parfois 100 m de hauteur avec une si faible densité, est bien vivant avant que la plante ne soit coupée, d’autres le sont tout aussi réellement et font partie intégrante des systèmes biologiques animaux, à commencer par nous-mêmes. La connaissance des matériaux dont l’Homme est constitué, qu’il s’agisse de tissus durs tels que l’os ou de tissus mous tels que le myocarde, est nécessaire dès lorsqu’une lésion doit être traitée. Mais ce court chapitre a aussi montré, en n’en survolant que quelques aspects, que des matériaux peuvent être qualifiés de « bio » non pas en raison de leur origine biosourcée, mais pour leur vocation à être en contact avec le vivant. Selon les cas, on souhaite que ces matériaux soient bio-inertes, ou au contraire bio-actifs. Ils ne sont pas nécessairement biosourcés mais peuvent, bien au contraire, être artificiels du moment qu’ils peuvent se substituer à du matériau vivant, en stimuler ou en interdire le développement, ou encore participer à des essais thérapeutiques ou diagnostiques. Ce champ de recherches est extrêmement actif, et ses résultats participeront à l’essor du concept d’« Homme augmenté », suite probable de l’« Homme réparé ». Une telle possibilité passera inévitablement par le développement de systèmes, et donc de matériaux, totalement compatibles avec le vivant. MATÉRIAUX VIVANTS Figure 5 : Simulation sur ordinateur des contraintes induites dans les diverses couches d’une artère (à gauche) par une pression interne. L’image au centre montre les trois milieux constitutifs de l’artère lorsqu’ils sont soumis à une micro-dilatation. L’effet d’une couche rigide représentant un ‘stent’ est montré sur la simulation de droite. Un autre exemple de simulation d’un matériau vivant est l’objet de l’encart de Richard Kouitat, page 39. Adapter sa morphologie à son environnement, continuer à évoluer malgré les agressions extérieures, telles sont quelques-unes des caractéristiques propres aux systèmes vivants. Intuitivement, on conçoit aisément la notion de matériau vivant. Qu’il soit d’origine végétale ou animale, il répond activement à des stimuli biophysiques / chimiques agissant sur différentes échelles de temps. 1/ Idriss J. Aberkane, «Economie de la connaissance», note éditée par la Fondation pour l’Innovation Politique, mai 2015, ISBN 978-2-36408-082-9, 48 pages. 2/ Un hôpital virtuel est le lieu le plus adapté pour l’application de la préconisation «Jamais la première fois sur le patient». Il englobe des aspects relevant de l’innovation pédagogique et d’une recherche nécessairement transverse. En effet, à l’aide de simulateurs spécifiquement dédiés, reproduisant au mieux le patient physique ou numérique, on met au point de nouveaux protocoles opératoires et l’on s’exerce sur des pratiques déjà éprouvées, notamment chirurgicales, ou à mettre en œuvre dans des situations difficiles.
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