ALS - Magazine 6 - Septembre 2017

RICHARD KOUITAT La simulation numérique et le matériau vivant Richard Kouitat Njiwa, Institut Jean Lamour, Nancy Enseignant-chercheur de l’Université de Lorraine, il est un spécialiste de la mécanique des matériaux qu’il applique à la description et à la prédiction du comportement de tissus vivants. La simulation numérique permet de surmonter des difficultés liées à la complexité du modèle mathématique. Son apport dans de nombreux domaines, y compris la science des matériaux, n’est plus à démontrer. En effet, elle permet entre autres d’établir des procédés d’obtention de nouveaux matériaux. Le succès de cette démarche est conditionné par la qualité et la finesse des modélisations des mécanismes gouvernant les processus étudiés. Ces mécanismes sont relativement bien maîtrisés dans le cas des milieux inertes et mobilisent l’attention de chercheurs de divers horizons en ce qui concerne les milieux vivants. S’agissant de l’humain, les objectifs de la simulation numérique sont nombreux et concernent les domaines du diagnostic, de la thérapie, des bio-substituts ou de la chirurgie. En plus d’être le siège de phénomènes d’échanges et de mécanismes d’évolution complexes, le matériau vivant est hétérogène, multi-échelles (très souvent imbriquées) et répond à des stimuli sur diffé- rentes échelles de temps. Ces caractéristiques soulignent les difficultés à surmonter pour modéliser finement les milieux vivants. Toutefois, avec un niveau de raffinement plus ou moins élevé, il existe des modèles et simula- tions numériques pour les milieux vivants. Ces simulations couvrent un large champ partant de la croissance embryonnaire à l’étude de phénomènes physiologiques particuliers d’un organe. Focalisons-nous par exemple sur la problématique de l’infarctus ischémique. Dans cette pathologie cardiaque, une zone plus ou moins large de l’organe n’est plus irriguée. Sur le plan fonctionnel (clinique), on note une baisse de la fraction d’éjection du ventricule gauche qui s’accompagne de modifica- tions géométriques de l’organe (amincissement de la paroi, augmentation du volume de la cavité, etc.). La recherche d’une thérapie optimale nécessite de comprendre profondément les processus conduisant aux modifications fonctionnelles et structurales observées. Conférant au tissu cardiaque un modèle de comportement de matériau inerte associé à une loi de croissance et de remodelage gouvernée par le niveau de contrainte, des simulations numériques ont permis de montrer par exemple que l’ablation de la zone nécrosée ne modifie pas nécessairement la force gouvernant les processus de modifi- cations structurales. Ce constat est conforme aux observations cliniques. Une autre vision conceptuelle consiste à considérer que dans une structure vivante, il existe un mouvement local indépendant du mouvement macroscopique d’ensemble. Une zone nécrosée est alors vue comme une collection de points inertes (n’ayant plus de mouvement propre). Une simulation numérique dédiée permet de montrer qu’avec cette approche on simule bien la perte de fraction d’éjection et sa sévérité en fonction de la localisation de l’infarctus. On montre également que la déformabilité d’une plus large zone est affectée, induisant probablement le processus de remodelage observé. Cette approche conceptuelle, couplée à des modèles mathématiques de lois d’évolutions biologiques et des simulations numériques dédiées (voir figure), est susceptible de conduire à terme à la mise au point de protocoles thérapeutiques innovants. Figure : Déformation d’un tube en présence d’une zone nécrosée sous l’action d’une pression interne. En pointillé : géométrie avant chargement avec localisation de la zone nécrosée. En couleurs : géométrie déformée avec iso-valeurs de pourcentage de perte de déformabilité. Plus la valeur est élevée, plus la région est affectée par la présence de la nécrose : a) zone nécrosée proche de la paroi externe, b) zone nécrosée proche de la paroi interne. Initialement, l’axe du tube est vertical et passe à la position x = 0. Il y a longtemps que des scientifiques s’efforcent d’exprimer sous forme mathématique les lois gouvernant les processus naturels. Les solutions de ces modélisations mathématiques permettent d’explorer le modèle établi, de faire des prévisions ou d’envisager divers scénarios futurs ; autrement dit d’effectuer des expérimentations numériques quantitatives et prédictives. ALS Mag / 39

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