ALS - Magazine 3 - Janvier 2012
ALS Mag / 21 Les paradoxes du gagnant qui perd et du perdant qui gagne proviennent d’une confusion (faite parfois dans la vie par certaines personnes ?) entre : - (a) avoir toujours raison en battant tout le monde, et - (b) bien réussir en suscitant la coopération et en nouant des relations positives avec ceux qui acceptent une coopération réciproque, même si pour cela on risque parfois d’y perdre. Ce n’est sans doute guère étonnant pour qui fait preuve de bon sens. Ce qui est nouveau et difficile à admettre, c’est qu’on peut ne jamais battre personne et être gagnant quand même ! Le dernier paradoxe (paradoxe de la domination cyclique) est classique : les confrontations deux à deux dans un jeu -même parfaitement déterministe- ne conduisent pas nécessairement à une relation d’ordre total (où l’undes joueurs bat tout lemonde, puis un second est plus fort que tous les autres sauf le premier, etc.). Même si à chaque fois on s’en étonne, il peut se produire des cycles : J(1) bat J(2), J(2) bat J(3) , ..., J( n-1 ) bat J( n ) et pourtant J( n ) bat J(1). Contrairement à ce qu’il est tentant de penser, quand de telles situations se présentent (aux échecs, au football ou à d’autres jeux), l’explication profonde n’est pas psycho- logique, ou liées à des variations de forme des concur- rents. Les situations de domination cyclique résultent de la nature du jeu et des stratégies en concurrence : le fait d’utiliser une certaine méthode de jeu rend fort contre une catégorie de joueurs, mais constitue parfois un jeu faible contre une autre, qui elle-même peut être dans une situation analogue, ce qui au total produit un cycle : A bat B qui bat C qui bat A . Le dilemme itéré du prisonnier fournit de magnifiques exemples de cycles dans un cadre où psychologie et hasard n’interviennent pas du tout. Les six stratégies évoquées ne permettent pas de construire un tel cycle mais en voici trois qui conviennent : h A : je joue périodiquement t , t , c , t , t , c , t , t , c , ... h B : je joue périodiquement c , c , t , c , c , t , c , c , t , ... h C : je joue c au premier coup, puis je joue ce que l’autre joueur a joué en majorité dans les coups précédents. Si vous organisez des confrontations, par exemple d’une durée de 10 coups, vous constaterez que : h A bat B car A exploite B qui coopère trop souvent lors de leur rencontre ; h B bat C car cette fois C coopère trop souvent quand il joue avec B ; h et C bat A , car maintenant A coopère trop face à C qui, sauf au premier coup, ne coopère plus du tout et exploite A . Jean-Paul Delahaye Professeur à l’Université des Sciences et Technologies de Lille Laboratoire d’informatique fondamentale de Lille Dossier > CV Jean-Paul Delahaye est Profes- seur à l’Université des Sciences et Techniques de Lille et cher- cheur au Laboratoire d’Infor- matique Fondamentale de Lille (CNRS). Après un doctorat de troisième cycle en mathématiques et un doctorat d’Etat en mathéma- tiques consacrés au traitement des suites numériques, il a mené des travaux de recherche dans le domaine de l’intelligence artificielle et de l’informatique théorique (programmation logique et systèmes experts, théorie de la complexité, suites infinies aléatoires, théorie des jeux). Il tient la rubrique mensuelle «Logique et Calcul» de la revue « Pour la science » qui traite à la fois d’actualité scientifique et de récréations mathématiques. Il est l’auteur de plusieurs livres destinés au grand public dont «Le fascinant nombre Pi» et plus récemment «Mathématiques pour le plaisir» parus aux Editions Belin/Pour la science (voir http://www2.lifl.fr/~delahaye/ pour une liste complète de ses ouvrages).
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