ALS - Magazine 3 - Janvier 2012

ALS Mag / 19 Pourtant lors d’expériences menées par des psychologues avec des sujets humains et des enjeux réels en argent, on constate que 40% environ des sujets mis dans la situation du dilemme du prisonnier coopèrent (c’est-à-dire suivent le raisonnement 1, considérant que l’intérêt collectif est de ne pas avouer). Ces 40% prennent donc le risque de se faire exploiter par leur complice qui, s’il les trahit (c’est-à-dire avoue au juge), les envoie en prison pour 5 ans et retrouve la liberté ! La question posée par ce paradoxe est celle très générale de l’opposition entre défense de l’intérêt individuel et prise en compte de l’intérêt collectif. Il s’agit d’une questionmorale tout à fait semblable à celle que vous rencontrez quand vous vous demandez si vous devez laisser votre sac-poubelle de pique-nique par terre dans cette forêt où vous ne reviendrez jamais. Même si cela semble désolant, la rationalité pure de celui qui ne considère que son intérêt individuel est du côté du raisonnement 2 : elle commande de trahir... et de laisser le sac-poubelle dans la forêt. Le psycho- logue Amos Tversky a évoqué le recours à une pensée quasi-magique chez ceux qui dans le jeu du dilemme du prisonnier coopèrent en tentant de justifier leur attitude. En effet, l’argument que cela incite l’autre joueur à faire de même n’est pas vrai d’après les règles du jeu : l’autre joueur ne sait pas ce que choisit son complice. L’argument qu’en coopérant on augmente la probabilité que l’autre coopère n’est pas meilleur. L’idée exprimée par la question : «comment puis-je espérer qu’il coopère, si moi-même je ne le fais pas», est encore indéfen- dable et absurde puisque aucune influence causale entre la décision d’un joueur et celle de l’autre ne peut raisonnablement être défendue. La question de savoir pourquoi 40% des joueurs ne choisissent pas la solution rationnelle est en définitive mal résolue. Est-ce simplement que le raisonnement logique n’est pas compris et que, ne le percevant pas, 40% des joueurs jouent mal par bêtise ? Ou est-ce que cela provient d’un sens (inné ou appris) du collectif qui agirait en nous, nous faisant préférer le choix d’une solidarité risquée à celui de notre intérêt égoïste ? De nombreux documents sont disponibles sur ce jeu. En voici quelques-uns. Y William Poundstone Le dilemme du prisonnier, Editions Cassini, 2003. Y Robert Axelrod The Evolution of Cooperation, New York : Basic Books, 1984. Traduction française : Comment réussir dans un monde d’égoïstes : Théorie du comportement coopératif, Editions Odile Jacob, Paris, 2006. Y Equipe de recherche SMAC du Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille (CNRS) Le dilemme des prisonniers. Explications, logiciels et documents divers : http://www2.lifl.fr/IPD/ipd.html Y Steven Kuhn Prisonner’s Dilemma, Stanford Encyclopedia of Philosophy, 2007. Voir : http://plato.stanford.edu/ entries/prisoner-dilemma/ Cet article est une version remaniée d’un chapitre du livre «Au pays de paradoxes (50 paradoxes), paru aux éditions Belin/Pour la science. (http://www.editions-belin.com/ ewb_pages/f/fiche-article-au-pays- des-paradoxes-11945.php) Amos Tversky

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