ALS - Magazine 3 - Janvier 2012

12 / ALS Mag Conclusion : le caractère incontournable de la modélisation Article > Hervé Le Treut Personne n’a réussi à mettre en évidence de rétroaction négative suffisamment forte pour modérer effica- cement la réponse climatique, dans le cadre fortement contraint par les lois de conservation de la physique que constituent les modèles. Ce résultat recevrait pourtant certainement une publicité considérable. Le modèle apparaît ainsi comme un outil de réfutation des hypothèses : dès le début du vingtième siècle un savant comme Arrhenius avait prévu un réchauffement de quelques degrés si les gaz à effet de serre conti- nuaient à augmenter. Au fil des années, la complexité des processus réels a été prise en compte, et l’éventail des futurs possibles s’est ouvert. Mais rien n’est revenu mettre en cause la prévision initiale, et la charge de la preuve est désormais entièrement retournée : le dossier scientifique est désormais instruit suffisamment en profondeur pour que ce soit à ceux qui prétendent que le climat ne peut pas changer d’apporter des éléments à l’appui de leurs assertions. En fait, en l’état, les modèles sont plutôt précau- tionneux, et n’intègrent pas tous les éléments possibles de déstabilisation du climat. Par exemple ils n’intègrent que très rarement une représentation du cycle du carbone. Deux tentatives préliminaires réalisées à l’IPSL (Institut Pierre Simon Laplace – Paris) et au Hadley Centre (Grande-Bretagne) ont montré que dans un climat chaud la capacité de la végétation à stocker de la matière organique se trouvait diminuée, tout comme la capacité d’absorption des océans, ce qui conduit à une augmentation plus rapide du CO2 atmosphérique et du réchauffement, effet qui reste ignoré dans la plupart des scénarios climatiques futurs. De même les effets mal connus d’un réchauffement sur la production de méthane ne sont pas pris en compte (en particulier en cas de dégel du pergélisol, c’est-à- dire du sol qui est actuellement gelé toute l’année et emprisonne du méthane). Dans le futur l’usage des modèles va se modifier. La question « le climat peut-il changer ? » a en grande partie reçu réponse : nous sommes déjà dans une situation où l’on ne sait pas expliquer le réchauffement des dernières décennies autrement que par l’effet de serre. L’enjeu des recherches consiste de plus en plus à aider les négociations inter- nationales autour du problème de l’effet de serre. Par exemple, mieux apprécier l’effet comparé des différents gaz, permet de prendre des mesures plus justes pour en limiter les émissions. De même nous savons que, au fur et à mesure que le climat changera, nos incertitudes sur les prévisions futures se réduiront : une description, même approchée, de cette évolution, permet de mieux adapter à la fois le calendrier et l’ampleur des mesures qui seront prises. Il y a là un enjeu stratégique d’autant plus fort que la science peut encore évoluer rapidement. D’abord à cause de l’observation satellitaire : le nombre d’instru- ments qui auscultent la Terre augmente. A côté des mesures régulières, opérationnelles, il apparaît une variété importante d’instruments de recherche qui donnent accès à une palette croissante de paramètres et de processus. Par ailleurs la croissance continue des moyens de calcul nous amène désormais tout près d’un seuil qui paraissait inaccessible pour les modèles globaux il y a encore quelques années : celui où il deviendra possible d’atteindre un maillage horizontal de quelques kilomètres et donc de résoudre explici- tement les échelles convectives de redistribution verticale de l’eau et de la chaleur. Cette perspective est désormais à portée de main avec le Earth Simulator japonais, actuellement le calculateur le plus rapide du monde. En dépit de toutes ces incertitudes plusieurs facteurs montrent que l’apport des modèles ne peut être négligé. Tout d’abord, malgré la sophistication croissante des modèles la fourchette dans laquelle se situent les résultats évolue peu. De plus, aucun modèle ne se montre insensible à l’augmentation des gaz à effet de serre. «...dès le début du vingtième siècle un savant comme Arrhenius avait prévu un réchauffement de quelques degrés si les gaz à effet de serre continuaient à augmenter.» Earth Simulator

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