ALS - Magazine 2 - Janvier 2011
ALS Mag / 7 Même si l’on a encore un peu de mal à croire à ces progrès quand on prête attention aux commentaires des documentaires animaliers… Mais un enseignement universitaire sur l’évolution devrait aussi faire une part à l’épistémologie (Qu’est ce que la connaissance ? Comment est-elle engendrée ? Comment apprécier sa valeur ?). Nos futurs enseignants devraient maitriser ce qui fait la différence entre une science, une pseudoscience, une opinion. Ils seraient par exemple mieux armés pour juger de la théorie du dessein intelligent. Ils devraient mieux cerner le statut épistémologique des approches théologiques et les différents types de relation aux écritures qui sous tendent les positionnements théologiques. Ils devraient se situer par rapport aux différentes conceptions extrêmes du relativisme et du scientisme. Ils devraient repérer un peu la «géographie» des différentes positions métaphysiques adoptées sciemment ou non par les uns et par les autres. Munis de quelques bases philosophiques, ils seraient plus à même de faire face aux questions qui leur sont posées, de reconnaître leur nature scientifique ou métaphysique et d’y répondre en conséquence. Un enseignement universitaire sur l’évolution ne devrait pas se faire en portant des étendards à la gloire ou au déshonneur de Darwin et du darwinisme. Le respect bien naturel que suscite cet immense scientifique à qui a lu son œuvre, tourne parfois à l’hagiographie, voire à un certain dogmatisme. Le plus bel hommage que nous puissions rendre à Darwin c’est peut être de faire humblement notre travail de la façon la plus rationnelle possible comme lui l’a fait, honnêtement, en laissant ouvertes les questions qui le méritent. Les mécaniciens ne font pas du newtonisme ou de l’anti-newtonisme ils font de la mécanique. Faisons des sciences de l’évolution ! $ Rencontre avec Bernard Lathuilière Professeur de paléontologie à Nancy Université Dossier > Interview Propos recueillis par Valéry DUBOIS / Image Clé Valéry Dubois : Cela dit, il est parfois agréable d’être dans le réconfort d’une vérité absolue. Le créationnisme offre des valeurs solides avec des vérités toutes faites, prêtes à l’emploi. Que peut la science face à cette concurrence ? Bernard LATHUILIERE : Les gens doivent comprendre que la science est une démarche qui fonctionne par tâtonnements. Les scientifiques ne détiennent pas la vérité. C’est une vérité qui se construit. Si on comprend ça, si on comprend comment fonctionne la science, on progresse réellement. Entrer dans la démarche scientifique peut s’avérer déstabilisant car on est souvent obligé de remettre en cause ses acquis. Mais l’histoire montre qu’on aurait tort de se priver de cette lumière. Les créationnistes, de leur côté, sont des activistes qui disposent d’importants moyens financiers. Ils font du bruit, peuvent financer des musées, dont certains qui se montent à présent en Europe mais leurs arguments ne tiennent pas un instant. Dans la sphère du monde scientifique, je n’ai jamais vu personne faire un exposé créationniste, par exemple, dans un congrès de paléontologie. Le retour, au niveau du master, de cours consacrés à l’histoire des sciences et à la philosophie des sciences est, dans ce contexte, une excellente nouvelle. Valéry Dubois : Bernard LATHUILIERE, l’enseignement de l’évolution se fait dans les salles de cours mais passe beaucoup également par les images de la télévision ou du cinéma. Vous semblez avoir quelques difficultés avec les documentaires animaliers, pour quelles raisons ? Bernard LATHUILIERE : Parce qu’on entend de tout ! Avec des commentaires qui nous disent que tel animal dispose de telle adaptation pour faire ceci ou mieux faire cela. Ce sont évidemment des formules de style mais qui induisent le spectateur en erreur en se fondant sur des concepts parfaitement dépassés. Les commentateurs ignorent aussi souvent les évolutions de la cladistique (classification des êtres vivants). La façon que nous avons de construire les arbres phylétiques (qui présentent une série généalogique biologique) depuis les années 50 a complètement changé notre façon de voir ces groupes. Il y avait auparavant des groupes qu’on disait évolués et d’autres qu’on décrivait comme primitifs, des appréciations qui étaient très « chargées » sur le plan idéologique. Et cette façon de distinguer les animaux a persisté de façon incroyable. On ne peut pas vous présenter un reptile, tel un crocodile, sans vous expliquer que c’est un monstre surgi de la préhistoire. Même chose concernant les requins. Alors que tous ces animaux ont évolué considérablement depuis les temps anciens. Il y a donc manifestement la persistance d’idées fausses qui véhiculent toujours l’idée que nous sommes au sommet de la création. Seuls les caractères peuvent être évolués ou ancestraux mais pas un groupe en son entier, ça n’a pas de sens.
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