ALS - Magazine 2 - Janvier 2011

6 / ALS Mag Article > Bernard Lathuilière La montée du créationnisme une étudiante musulmane en proie à des questionnements douloureux. A l’université, le créationnisme fait encore largement sourire. Dans les écoles secondaires, la menace créationniste est plus palpable et elle se trouve le plus souvent exacerbée par des revendications identitaires sociologiquement liées à la culture islamique. Il est bien clair que des enseignants mal préparés auront à souffrir de situations conflictuelles liées à ces réactions identitaires. Mais la plus grande menace qui pèse sur cette lumineuse idée d’évolution et son enseignement à l’université ne semble pas venir de ces créationnistes bien peu convaincants, fussent-ils amplement aidés et financés. Ce qui est plus inquiétant c’est la dérive de nos formations vers des enseignements utilitaristes, trop étroitement liés aux objectifs économiques de la société toute entière, du dirigeant politique à l’étudiant en passant par l’enseignant. Le temps de l’université, temple de la culture s’estompe… celui de la clientèle s’annonce. Nous avons maintenant derrière nous des décennies d’obsession du chômage. Comment ne pas comprendre ce désir de fournir à nos jeunes une place dans notre fonctionnement économique ? Mais pourquoi oublier que l’emploi n’est pas l’unique façon de faire société ? Comment ne pas voir que ce grand récit de notre histoire commune qu’est l’évolution a quelque chose d’universel et de fédérateur face aux grands défis écologiques de notre planète. Nous souffrons tous d’avoir le nez dans le guidon, mobilisant des énergies considérables sur des objectifs à court terme, nos formations ont parfois quelque chose de lilliputien…On peut devenir ingénieur géologue sans avoir fait une heure de paléontologie…On peut devenir docteur en géologie sans avoir jamais fait une heure d’histoire ou de philosophie de sa propre discipline…et je doute que ce soit très différent dans les autres branches de l’enseignement universitaire. Il y a tellement de choses utiles à connaître pour faire un bon professionnel ! Les parcours suivis par les futurs professeurs en SVT (Sciences de la Vie et de la Terre) de nos écoles secondaires ne sont pas encore trop touchés par ces dérives, les objectifs à court terme de nature économique y sont plutôt remplacés par ceux du concours… Ces étudiants font partie des rares populations qui suivent réellement une formation aux sciences de l’évolution. C’est pour eux, qui ont à transmettre les richesses de la culture évolutionniste, que se pose la question du contenu des enseignements. A mon sens, un enseignement universitaire sur l’évolution devrait être suffisamment fourni pour que les futurs enseignants soient en mesure de faire face à la complexité du sujet. Les disciplines impliquées dans le sujet sont si nombreuses qu’on peut difficilement recevoir cet enseignement d’une seule bouche. Des sciences de la vie aux sciences de la terre, l’éclatement des disciplines en multiples spécialités rend le recul aussi difficile que nécessaire. Malheureusement la dernière réforme du master conduit dans nos disciplines à réduire de près d’un an la formation disciplinaire de nos futurs enseignants, ce qui rend l’équation difficile à résoudre. Un enseignement universitaire sur l’évolution devrait faire une part à l’histoire des sciences. Nos étudiants devraient percevoir qu’on ne peut plus débattre de la même façon aujourd’hui qu’en 1859, année où paraissait « l’origine des espèces » de Charles Darwin, il faut avoir intégré tous les progrès que représentent en leur temps le lamarckisme, le darwinisme, le néodarwinisme, la théorie synthétique et la synthèse évo-dévo. Il arrive encore que les journalistes nous refassent le débat qui n’a jamais existé entre Darwin et Lamarck mais les progrès des sciences de l’évolution depuis les années cinquante sont bien réels et doivent être perçus. Ce sont là quelques signes des temps qui portent le paléontologue à la mélancolie. Le travail des activistes créationnistes commence à payer, ce qui ressemblait à une plaisanterie commence à montrer les couleurs de la menace. Pour preuve, ce questionnaire anonyme diffusé de 2005 à 2008 auprès de 1134 étudiants en première année de licence de biologie de l’université d’Orsay. Les réponses montraient que 12% des étudiants refusaient de placer l’homme dans le règne animal, que plus de 9% récusaient que toutes les espèces vivantes connues aient eu un ancêtre commun et que près de 12% ne concevaient pas que plusieurs espèces d’hommes aient pu coexister. De même, l’enquête du projet de recherche européen Biohead-citizen qui interrogeait 7050 enseignants (primaire, secondaire, biologie et lettres) dans 19 pays, évaluait entre 2 et 3% le nombre des créationnistes radicaux en France. On peut espérer que la proportion frôle le zéro pour les professeurs de Sciences de la Vie et de la Terre… Dans d’autres pays il en va tout autrement, la proportion atteignait par exemple 62% au Liban. En dépit de l’enquête d’Orsay, en 27 ans d’enseignement à l’université de Nancy, je n’ai jamais vu d’opposition frontale à mon enseignement d’évolution, juste quelques très rares affleurements discrets, des interrogations personnelles manifestement liées à des contextes religieux bien repérables. Ici, un ouvrage des témoins de Jéhovah dans les affaires d’un thésard malgache, là une discussion ouverte avec un étudiant de 1ère année, adepte de Raël ou encore cet échange confiant avec

RkJQdWJsaXNoZXIy MTIzMTM=