ALS - Magazine 2 - Janvier 2011

34 / ALS Mag C’est en effet à cette période qu’apparaissent les primates, parmi les insectivores. Il se trouve qu’à ce moment-là, un changement s’opère dans la flore quand se mettent à pousser les angiospermes, les plantes à fleurs et à fruits. Certains insectivores s’adaptent à ce milieu (au grimper et à la consommation de fruits) et dans le corps du primate on retrouve bien sûr ces adaptations réalisées par sélection naturelle. La clavicule, par exemple, n’est pas faite pour mieux serrer son papa ou sa maman mais pour mieux serrer l’arbre auquel on grimpe. Par ailleurs si on a perdu nos griffes au profit d’ongles, c’est aussi pour saisir de manière plus confortable la branche de l’arbre. C’est également pour cette raison que les ancêtres de l’homme ont gardé les cinq rayons des mains et des pieds ainsi que l’opposabilité du pouce. Cela permet au primate de saisir les branches et à l’homme de saisir le crayon ! Le corps humain porte ainsi en lui le souvenir de cette adaptation. De la même manière ont évolué les yeux. Le développement de l’oeil donnant une vision stéréoscopique et une vision des couleurs, vision en relief et en couleurs permettant de vivre dans les arbres, de sauter de branche en branche, d’apprécier les distances mais d’apprécier aussi en voyant les couleurs, le degré de maturité des fruits. $ A la croisée des destins Voilà donc les petits primates qui se développent comme tous les êtres vivants en fonction de leur niche écologique et de leur histoire géographique. Il y a dix millions d’années, apparaît un autre changement de nourriture. Après la consommation des insectes et des fruits vient celle des racines et des tubercules. Du coup, les dents et l’épaisseur de leur émail évoluent. C’est le début de la bifurcation entre les ancêtres des grandes singes, les chimpanzés et les bonobos (qui sont nos parents les plus proches) et les ancêtres de l’homme. Rares sont les témoins qui nous aident à comprendre l’allure de cet ancêtre commun. Nous n’avons pour le moment que trois fossiles pour comprendre cette période : Chororapithecus, Nakalipithecus et Samburupithecus. Le premier vient d’Ethiopie, les deux autres du Kenya. A eux trois ils donnent une vague idée de ce à quoi ressemblait l’ancêtre commun des tout premiers pré-chimpanzés et des tout premiers pré-humains. Voilà ce qu’a été le grand carrefour. Côté pré humain, nous avons un grand bouquet de formes : Orrorin, Lucy, plus récemment Ardi et puis les Australopithèques. Tous ont en commun le redressement du corps, démontrable par la structure même de l’os. A l’intérieur de l’os. il y a une structure de tissus que l’on appelle la structure trabéculaire, elle révèle les lignes de force du comportement. Chez tous les singes ces lignes de force sont parallèles car le corps se déplace souvent suspendu par les membres supérieurs, En tout cas la station debout n’ est jamais permanente, Or dès qu’on arrive au pré-humain, le bassin, en plus de son rôle dans la locomotion et dans la parturition (I’accouchement), a un rôle dans le portage d’une partie du poids du corps. Cette charge influe donc sur la structure même de I’os et les trabécules, au lieu d’être parallèles, se croisent. Pour être plus solide, pour soutenir le reste du corps, elles forment un chiasma. La station debout permanente, continue donc bien de caractériser les pré-humains, autrement dit, notre sous-famille. Nous voilà ainsi face à des pré-humains, africains, tropicaux, debout, bipèdes et arboricoles. $ J’ai beaucoup étudié la période se situant entre deux et trois millions d’années. Les cinquante tonnes d’os que j’ai ramassées dans le sud de l’Ethiopie peuvent l’attester. J’ai découvert et décrit à cette époque géologique une corrélation incontestable entre un changement climatique et l’émergence de l’homme. Cette corrélation se lit aussi très bien dans la flore et la faune. Toute la faune tente en effet de s’adapter à ce changement climatique et, parmi les animaux qui s’adaptent, un pré-humain va trouver comme solution un élargissement de son régime alimentaire. Il y a deux millions et demi d’années, apparaît la viande. Non pas par gourmandise mais par nécessité car il n’y a plus assez de végétaux. Les dents se transforment évidemment en conséquence. Le crâne change également, il est plus volumineux et le cerveau devient plus important, plus compliqué et mieux irrigué. L’évolution n’est ni un hasard aveugle, ni quelque chose de déterminé. Ce n’est pas non plus un dessein intelligent. C’est une interaction compliquée entre la sélection naturelle, la sélection sexuelle, Au commencement il y eu le primate Article > Yves Coppens Vers un lent développement du cerveau Les moulages endocrâniens réalisés aujourd’hui grâce au scanner nous apprennent que l’évolution du volume et de la complexité du cerveau s’est d’abord faite en douceur. Le système circulatoire de ce cerveau s’est compliqué lui-même peu à peu. Par ailleurs, la face s’est réduite aussi, réduction discrète, modeste, lente. Elle n’a plus la projection qu’elle avait auparavant et arrive à des formes plates qui seront bientôt les nôtres. Les dents quant à elles réduisent ou bien augmentent leur taille, la tendance des dents de la joue à la réduction est celle qui aboutira aux dents de l’homme. Les pré-humains vivant en effet dans des niches écologiques diversifiées, leur adaptation entraîne différentes tendances évolutives qui donneront naissance à un véritable bouquet de ces ancêtres. $ L’émergence de

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