ALS - Magazine 2 - Janvier 2011
Dans les années 1880, ce n’est pas à la Sorbonne que le jeune Cuénot découvrit Darwin et sa fameuse théorie : le transformisme de Darwin qui avançait l’idée selon laquelle les êtres vivants dérivaient les uns des autres par petites variations fortuites continues et survivance du plus apte (la fameuse sélection naturelle) n’entrait pas à l’université. Pourtant, le courant laïc et républicain aidant, les zoologistes français finirent par accepter le transformisme mais en conservant l’idée originelle de Darwin d’une hérédité acquise des caractères par suite de l’adaptation de l’organisme aux conditions de milieu, ce que l’on appela la version néolamarckiste de l’évolution, (du nom de J.B. de Lamarck qui fut le premier à avancer l’idée de transformisme en 1800 avec le principe selon lequel le besoin crée l’organe, le défaut d’usage l’atrophie). Cuénot était alors le seul en France à affirmer l’impossibilité de la transmission des caractères acquis et affirmait, dès 1894, sa pleine adhésion à la théorie de August Weismann (2) , acte de bravoure dans un pays tout entier converti au lamarckisme biologique et social. La redécouverte des lois de Mendel en 1901 imposa l’idée que des particules matérielles indépendantes et juxtaposées (appelées plus tard gènes) se transmettaient de manière invariable de génération en génération selon des lois statistiques. (fig2) En 1902, à Nancy, sur un coin de paillasse, Cuénot retrouvait ces lois chez l’animal. Puis il découvrait, au hasard de résultats ne répondant pas aux rapports attendus par ces lois, le premier cas de gène létal chez l’animal, le premier phénomène d’épistasie (3) et découvrait l’origine héréditaire de certains cas de cancer. Selon lui « il fallait se garder de considérer le gène comme ayant un rôle en soi mais comme faisant partie d’un appareil plus général de réaction ontogénique ». Dans le contexte scientifique français de l’époque, ces résultats relevaient véritablement d’une prouesse intellectuelle : absence de démarche expérimentale, scepticisme généralisé vis-à-vis du rôle des chromosomes dans le déterminisme des êtres vivants et rejet des théories anglo-saxonnes, tout concourrait à stériliser la recherche française en biologie. Aux Etats-Unis, T.H. Morgan et son équipe développèrent dès 1910 la théorie chromosomique de l’hérédité. Il postula l’échange d’unités chromosomiques pendant la méiose (4) et mit au point une méthode qui permit de situer approximativement la position des gènes sur les chromosomes. Lorsque Cuénot rencontra Morgan en 1921, il ne put que se rendre, tout comme le biologiste Maurice Caullery quelques années plus tôt, à l’amer constat du retard dramatique de la France face à la vigueur américaine due à l’initiative privée. Caullery lui-même accusa la tradition des lettres et des arts chère à la bourgeoisie française et la frilosité du clergé catholique encore puissant dans les mentalités. D’un point de vue conceptuel, les biologistes français tels Felix Le Dantec (voir encadré) se confinaient dans un néolamarckisme réductionniste. Et pourtant, les preuves de la non-hérédité des caractères acquis s’accumulaient. Mais Morgan et Cuénot devront tout de même attendre 1931 et 1935 pour être accueillis à l’Académie des sciences, véritable temple du lamarckisme, qui n’admit Darwin qu’en 1878 et encore dans la section botanique! A cette époque s’échafaudait aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, la théorie synthétique de l’évolution : cette théorie tenta d’unifier Félix Le Dantec (1869-1917) fut le chef de file d’une génération de jeunes scientifiques des plus virulents : voici ce qu’on pouvait lire en 1903, sous sa plume : Un œuf d’homme est simplement de la substance d’homme qui peut vivre par elle-même, elle assimile et prend fatalement la forme d’un homme […]. L’origine de cette substance d’homme ou autre est à rechercher dans l’hérédité des caractères acquis : un enfant nourri de pain ne prendra pas la forme d’un nourri de viande […] mais une substance de manchot ne donne pas un manchot, une substance de chinoise pied-bot ne donne pas de chinois pied-bot […] car il faut que le caractère acquis l’ait été par les deux sexes ». ALS Mag / 27 le darwinisme (petite mutations fortuites et sélection naturelle) avec la génétique de l’époque (lois de Mendel, théorie chromosomique de l’hérédité, génétique des populations) ajoutant l’envergure des temps géologiques avec l’apport de la paléontologie. Ses premiers artisans estimaient suffisante l’explication selon laquelle les êtres vivants évoluent au hasard des petites mutations chromosomiques triées par la sélection naturelle et avec le concours de la durée. Cuénot était alors le seul français cité dans les biographies anglo-saxonnes… $ Fig 2 : Les lois de Mendel furent retrouvées chez l’animal par Lucien Cuénot (dessin de Cuénot) Darwin contre Lamarck
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