ALS - Magazine 2 - Janvier 2011

Valéry Dubois : « Rien n’a de sens en biologie en dehors de l’évolution ». Vous aimez citer dans vos présentations publiques cette phrase du biologiste et généticien russe Theodosius Dobzhansky. Pourquoi ? Jean Chaline : Parce que les changements progressifs qu’on constate avec le temps ne doivent pas être ignorés. Nous sommes, dans le monde du vivant, face à des changements imperceptibles mais continus, qui s’ajoutent et qui font qu’au bout d’un certain temps, eh bien tout a changé ! La biologie ne peut pas se comprendre sans cette prise en compte permanente de l’évolution. L’évolution n’est pas un point de vue mais un fait d’observation. C’est une accrétion, de petits changements successifs qu’on peut très bien observer chez les campagnols par exemple. Des changements qui sont continus et qui s’additionnent. Et au bout d’un certain temps, il y a un changement tel qu’on a affaire à une nouvelle espèce. VD : Vous militez pour un dialogue renforcé entre disciplines scientifiques. Vous travaillez vous-même avec des physiciens, dans quel but ? JC : Des changements majeurs touchent actuellement d’autres sciences et peuvent trouver un écho en paléontologie. Beaucoup de paléontologue refusent de s’intéresser aux évolutions apportées par d’autres disciplines ou ne prennent pas le temps. Or, de nombreux phénomènes biologiques suivent des lois de la physique (gravité) et de la chimie, des lois universelles. On ne gagne rien à les ignorer. L’évolution est le résultat d’un hasard des mutations encadré par un certain nombre de contraintes, dont celles de l’environnement qui constituent une sélection naturelle. Ce n’est pas un hasard absolu : le hasard suit des lois, il y a un certain déterminisme. Et les espèces évoluent, contraintes par des caractéristiques génétiques, physiques, mécaniques (écoulements cellulaires hydrodynamiques qui suivent la loi de D’arcy) ou de développement (plan d’organisation d’une espèce). Disons qu’il y a une imprédictibilité à caractère déterministe ! Les paléontologues ont donc tout intérêt à parfaire leur culture scientifique au contact d’autres spécialistes. En travaillant avec l’astrophysicien Laurent Nottale, qui a formulé « la théorie de la relativité d’échelle », j’ai par exemple complètement changé d’optique sur mes travaux. VD : A quel point de vue ? JC : J’avais l’habitude de travailler sur l’évolution des espèces mais à des échelles restreintes. En m’appuyant sur les théories de Nottale, j’ai la possibilité de travailler sur des échelles beaucoup plus grandes. Car on s’aperçoit qu’il existe des lois générales d’accélération ou de décélération qui s’appliquent à la paléontologie, mais à bien d’autres domaines également : à la finance, aux géosciences…Sur de multiples sujets de recherche, on peut définir des pics de probabilité qui ne garantissent pas qu’il se passera quelque chose, mais qui déterminent des périodes charnières favorables à l’émergence d’innovations, cela grâce à des lois de probabilité. Nous avons été très surpris de constater que ces lois collaient parfaitement aux périodes clés de l’évolution des primates, par exemple. Mais aussi, à une autre échelle au cas des dinosaures, des oursins, des chevaux, au développement embryonnaire des humains et de l’histoire de la vie en général. De plus en plus, généticiens, embryologistes, biologistes, physiciens, paléontologues seront amenés à collaborer. $ Dossier > Interview Rencontre avec Jean Chaline Paléontologue et biologiste Propos recueillis par Valéry DUBOIS / Image Clé 20 / ALS Mag S’associant avec d’autres disciplines, la paléontologie explore de nouveaux horizons complexes. (4) : Nottale, Chaline & Grou. 2009. Des fleurs pour Schrödinger. La relativité d’échelle et ses applications. Ellipses, Paris, 421 p.

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