ALS - Magazine 2 - Janvier 2011

ALS Mag / 13 Dossier > Interview Rencontre avec Jacques Arnould Historien des sciences, théologien et chargé des questions éthiques au Centre national d’études spatiales. Christophe Hanesse : Historiquement, la religion est souvent allée à l’encontre des théories de Darwin… Jacques Arnould : En Occident, l’image du singe est extrêmement négative. Ne dit-on pas « Malin comme un singe» ? Or, le terme « malin » fait souvent référence au diable, à la lubricité. Le porte-parole de la théorie de Darwin n’est donc qu’un vulgaire singe. Il y a bien un passif très lourd. Jusqu’en 1950, l’Eglise catholique est très réticente face aux idées liées à la théorie de Darwin. Ensuite, les choses changent un peu, les condamnations se font moins sévères. L’année dernière, à Rome, Yves Coppens, moi–même et d’autres scientifiques avons été invités par l’Université Pontificale Grégorienne à nous exprimer lors d’un colloque consacré à Darwin : nous pouvons y voir un symbole d’ouverture… même si les actes ne seront sans doute jamais publiés. Il y a un malaise persistant. L’Eglise catholique n’est pas bien à l’aise avec les sciences, qu’elle assimile toujours à un danger. Tout savoir est une forme de pouvoir, alors comment gérer ces pouvoirs ? On peut tout à fait comprendre ces enjeux en regardant certaines prises de position, même très récentes de certaines autorités : la prise de position de Benoît XVI, à propos du préservatif, a sans nul doute une raison politique. C. H. : Pourquoi est-il important d’amener le débat entre créationnisme et darwinisme sur le devant de la scène ? J. A. : J’ai souvent été invité à parler du créationnisme, lors de conférences. Ce qui m’a frappé, c’est qu’on me reproche souvent de ne pas aborder les questions importantes : d’où vient l’homme, qui sommes-nous?... alors que ce n’est pas le sujet annoncé ! De fait, derrière ce débat, il y a surtout la question de l’identité humaine, de son origine, de son commencement. On a trop longtemps ignoré en France la question du créationnisme. On avait laissé une espèce de quiproquo se diffuser sans y prêter attention et les enseignants se sont donc sentis démunis, car ils n’avaient pas la formation pour répondre aux questions des élèves. L’enjeu en terme d’éducation est énorme. En parler plus ouvertement, c’est rendre service aux enseignants, pouvoir répondre aux questions fondamentales du public. Je crois en la possibilité de créer des liens, des dialogues. C. H. : Vous qui êtes chrétien et théologien, comment conciliez-vous votre foi avec la pratique des sciences ? J. A. : Le terme « pratique » est intéressant et important. Il est vraiment nécessaire de se remettre en question, car rien n’est jamais figé. La pratique scientifique contient fondamentalement une mise en question permanente des résultats acquis, des théories élaborées. C’est la même chose dans le domaine de la religion, c’est une recherche, une quête de Dieu à laquelle on n’aboutit pas en se contentant de réciter cinq Pater par jour. Dès lors que je mets en pratique la démarche scientifique et la démarche religieuse, je suis presque contraint d’avancer sans cesse, de ne jamais me contenter de l’acquis. Pour en revenir à Darwin, il était à la fois très conscient d’avoir mis au point quelque chose de nouveau et, en même temps, d’une vraie modestie scientifique. Il n’a jamais prétendu tout savoir. Il disait lui-même : « Le commencement de toute chose nous échappe, c’est pourquoi je suis agnostique. » C’est un bel aveu. C. H. : L’ intelligent design est-il une étape nécessaire à l’évolution du créationnisme? J. A. : Les partisans de l’ID se désolidarisent complètement du mouvement créationniste. L’ID pose un certain nombre de questions qui rendent service à tout le monde : il exige d’être plus précis dans certaines réponses. Mais une position de l’ID comme Deus ex machina qui vient tout expliquer ne me satisfait pas ; c’est une solution trop facile, à la fois pour la science et pour la religion. Sa principale faiblesse est de refuser de ne pas posséder la vérité alors que la force de l’homme est de devoir sans cesse se remettre en question. Prenons cette métaphore : Un dogme est comme un lampadaire, un objet qui peut servir à deux choses. Quand vous êtes dans l’obscurité, et nos existences sont faites d’obscurités, vous commencez à explorer autour du lampadaire puis vous osez vous éloigner car vous avez un repère. C’est l’usage positif du dogme. L’attitude inverse, l’attitude dogmatique, est de rester accroché à son lampadaire. L’ID, je l’espère, pourra être considéré comme une étape intéressante dans la mesure où on ne s’y accroche pas. C. H. : Selon vous, l’évolution de l’homme telle que nous la connaissons aujourd’hui est-elle transposable, envisageable sur une autre planète ? J. A. : Ce que l’on recherche aujourd’hui, ce sont des planètes proches de la configuration de la Terre. Pour une part des scientifiques, les processus biologiques qui se sont déroulés sur notre planète pourraient très bien avoir lieu ailleurs. Pour d’autres, ce qui s’est passé sur Terre est tellement singulier que les probabilités que cela se passe ailleurs sont extrêmement faibles. Le débat est ouvert. Une chose est sûre : on sera toujours en train de chercher. D’un point de vue philosophique, la question est plus ancienne que la science. L’humain s’est toujours demandé : « Y a t-il d’autres êtres que moi dans le ciel que je vois tous les jours au dessus de moi?» Les réponses philosophiques ont été très variées. La tradition chrétienne a toujours considéré la possibilité d’une vie ailleurs que sur Terre. A nous de voir s’il est possible de les découvrir et surtout d’apprendre à gérer une éventuelle rencontre. $ Propos recueillis par Christophe Hanesse

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