ALS - Magazine 2 - Janvier 2011

12 / ALS Mag Article > Jacques Arnould Notre société française laïque doit-elle vraiment prendre au sérieux ces controverses, culturellement si marquées ? Malheureusement, oui. Si aucun projet de musée créationniste ne paraît menacer notre territoire, l’envoi de L’ Atlas de la Création a lourdement et clairement montré que la France doit désormais tenir compte, politiquement parlant, de ces mouvements créationnistes. Il n’est évidemment pas question de se faire peur, ni d’entamer une quelconque chasse aux sorcières; la réaction des pouvoirs politiques, en janvier 2007, a sous cet angle été exemplaire ; il en est de même des initiatives académiques visant non pas tant à condamner, voire à dénoncer qu’à offrir les outils et les informations nécessaires à une meilleure compréhension des questions et des enjeux en cause. Les philosophes et les théologiens doivent eux prendre au sérieux ces mouvements qui ne se réduisent ni ne se résolvent dans le seul recours aux principes de la laïcité. À côté des questions liées au statut des textes saints et de leurs traditions théologiques respectives, qui appartiennent surtout aux courants créationnistes les plus anciens, l’I.D. remet au goût du jour l’antique champ de la théologie naturelle. Autrement dit de la question disputée suivante : est-il possible d’en savoir plus sur Dieu et son éventuelle existence, en contemplant, en étudiant la nature ? C’est là une question héritée de la philosophie grecque et de son projet de se détacher des mythes cosmogoniques et de leurs a priori. Comme le souligne le philosophe Pierre Fruchon, la théologie naturelle a pour principe que le monde est pensable sans Dieu, mais non sans la question de Dieu. Je la crois d’un réel secours à une époque marquée par une extraordinaire croissance de la connaissance et de la recherche scientifique, non seulement pratiques, mais aussi théoriques. Les interrogations qu’une telle situation nous impose sont nombreuses. Je ne crois absolument pas en l’efficacité des latest scientific evidences de l’existence d’un Créateur, défendues par Michael Denton, un biologiste très prisé des partisans de l’I.D. Je crois davantage en une démarche analogue à celle mise en œuvre par André Comte-Sponville dans L’Esprit de l’athéisme qui respecte l’être humain dans la diversité de ses interrogations et de ses convictions, de ses peurs et de ses atteintes. $ Au-delà des faits d’armes, de nécessaires débats Les Français pourraient regarder d’un œil un peu goguenard ces débats et se demander quand nous arrivera des USA, après le créationnisme et le néo-créationnisme, le post-créationnisme ou une autre forme « relookée » de créationnisme. Dans de nombreux discours religieux et scientifiques, apparaît la prétention à posséder la réponse unique et définitive à l’antique interrogation de l’esprit humain, celle de son origine. Alors que le développement des sciences et des techniques paraît plus que jamais amener l’homme à reconnaître, après Jacques Monod, « qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. À lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres ( Le hasard et la nécessité ) , les sociétés occidentales ne se contentent plus de la séparation, héritée de l’époque moderne, entre le « pourquoi ? », réservé à la religion, et le « comment ? », réservé à la science. Pas plus d’ailleurs que de décisions de justice qui entérinent une telle séparation. Au-delà des dérives dogmatiques, intégristes ou réductionnistes, les enjeux auxquels science et religion ne peuvent échapper et qui transparaissent dans les controverses entre créationnisme et évolutionnisme relèvent en fin de compte des deux registres suivants : d’une part, celui de l’épistémologie et de la philosophie (quelle place est accordée aux questions du temps et de l’histoire, du sens et de la contingence ?), d’autre part, celui de l’éthique et du politique (que sont devenus aujourd’hui les concepts de vérité et d’autorité ?). Comment les sociétés humaines parviennent- elles à articuler ces deux champs avec ceux de la philosophie ou de l’art, pour se construire et répondre, certes partiellement mais du moins honnêtement, à leur quête de l’identité de l’homme, de son origine, de sa destinée ? Une quête bien plus difficile, mais bien plus passionnante que celle de l’arche perdue de Noé, dont le terme ne peut être l’objet d’aucune certitude, mais seulement d’épreuve et de choix. André Malraux, après et avant tant d’autres, l’a rappelé : « telle est la condition humaine ». $ Pour une approche philosophique de la biologie Références : J Jacques Arnould, Dieu versus Darwin. Les créationnistes vont-ils triompher de la science ?, Paris, Albin Michel, 2007. J Fernand Comte, Dieu ou Darwin ? Le débat sur les origines de l’homme, Paris, J.C. Lattès, 2008. J Dominique Lecourt, L’Amérique entre la Bible et Darwin, Paris, P.U.F. (Science, histoire et société), 1992. J Thomas Lepeltier, Darwin hérétique. Le retour du créationnisme, Paris, Seuil, 2007. J Pascal Picq, Lucy et l’obscurantisme, Paris, Odile Jacob, 2007.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTIzMTM=