ALS - Magazine 2 - Janvier 2011
La société française est restée longtemps peu informée et peu curieuse de la cuisine pseudo- scientifique et religieuse des créationnistes américains ; le nombre de publications en langue française sur ce thème est particulièrement faible avant 2007. Elle s’est apparemment plus rapidement intéressée à un mouvement que les médias ont rapidement qualifié de «néocréationnisme », au grand dam d’ailleurs de ses partisans. Ceux-ci, en effet, récusent l’idée religieuse d’une création divine pour défendre celle de la présence, au cœur de la réalité et de son devenir (car l’évolution y est acceptée), d’un intelligent design (d’où l’acronyme américain d’I.D.), d’une intelligence supérieure, d’un dessein intelligent. Comment des systèmes aussi complexes que ceux qui forment les organismes vivants seraient-ils le fruit d’une évolution soumise au seul hasard ? Il faut nécessairement, prétendent-ils, y voir l’intervention d’un facteur non naturel, d’une intelligence étrangère aux facteurs habituellement pris en compte par les scientifiques. A priori dénué de toute revendication religieuse, le courant de l’I.D. ne peut pas manquer de susciter intérêts divers, réactions passionnées, débats alimentés : ne remet-il pas sur le devant de la scène scientifique la question de la finalité en la science ? Nous le savons, la science moderne s’est fondée sur le rejet de toute idée de cause finale ; le mot de Laplace à Napoléon qui lui demandait pourquoi Dieu était absent de son Système du monde est célèbre : « Sire, je n’ai pas besoin de cette hypothèse ». Pourtant, Claude Bernard, Jacques Monod et d’autres biologistes après eux se sont interrogés sur la possibilité d’exclure toute idée de finalité en biologie, sans pour cela revenir à une vision téléologique (2) . C’est donc sur le terrain d’une question scientifiquement et philosophiquement disputée que cherche à intervenir l’I.D., mais d’une manière, à bien y regarder, qui n’est neutre ni religieusement, ni politiquement. L’une de ses principales institutions, le Centre pour la Science et la Culture, propose, dès 1999, un véritable programme d’action ; il part du constat suivant : «L’idée que l’être humain a été créé à l’image de Dieu est l’un des principes fondateurs de la civilisation occidentale. On peut discerner son influence dans la plupart, sinon dans toutes les grandes réussites de l’Occident, parmi lesquelles la démocratie représentative, les droits de l’Homme, la liberté d’entreprendre et les progrès des arts et des sciences. Pourtant, voici un peu plus d’un siècle, cette notion cruciale a été attaquée de toutes parts par des intellectuels qui s’appuyaient sur les découvertes scientifiques». Et ce fut, déplorent les auteurs de ce manifeste, le triomphe du matérialisme. Le Centre se donne pour objectif de montrer, en particulier aux décideurs politiques, qu’« il y a une vie après le matérialisme » et, pour ce faire, élabore une stratégie afin d’installer (2) « Le physicien et le chimiste, écrit-il, peuvent repousser toute idée de causes finales dans les faits qu’ils observent ; tandis que le physiologiste est porté à admettre une finalité harmonique et préétablie dans le corps organisé dont toutes les actions partielles sont solidaires et génératrices les unes des autres. » (Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1865) ; Jacques Monod, de son côté, parle des «objets doués d’un projet qu’à la fois ils représentent dans leurs structures et accomplissent par leurs performances », tout en précisant que « la biosphère ne contient pas une classe prévisible d’objets ou de phénomènes, mais constitue un événement particulier, compatible certes avec les premiers principes, mais non déductibles de ces principes. Donc essentiellement imprévisible » (Le hasard et la nécessité, 1970). Le courant de l’ intelligent design : un créationnisme plus subtil ALS Mag / 11 un renouveau culturel ; les objectifs sont clairs : « Faire échec au matérialisme scientifique et à son héritage destructeur sur les plans moral, culturel et politique. Remplacer les explications matérialistes par la vision théistique qui veut que la nature et les êtres humains ont été créés par Dieu ». Autrement dit, une partie au moins du courant de l’I.D. est soutenue par des convictions et un projet clairement religieux. Avec l’ intelligent design , sommes-nous en présence d’une véritable nouvelle science, comme le prétendent ses partisans ? Je ne le crois pas : pour s’en convaincre, il suffit de lire la prose I.D. sur les sites qui lui sont dédiés, de constater quel esprit de croisade l’anime, les a priori religieux et idéologiques qu’elle véhicule. Et de constater qu’aucune véritable découverte scientifique n’a pu être faite grâce à cette perspective. Il y a donc bien des raisons de soupçonner le loup fondamentaliste des créationnistes de se cacher sous l’honorable peau de mouton de l’I.D. Fin 2005, à Dover, à l’ouest de Philadelphie, des parents intentent un procès contre l’établissement scolaire où se trouvent leurs enfants et où l’idée d’ intelligent design est enseignée à l’égal de celle de l’évolution de type darwinien. Au terme du procès, le juge déclare qu’« il est anticonstitutionnel d’enseigner le dessein intelligent comme une alternative à l’évolution dans une classe de sciences d’une école publique » ; il ajoute que ce courant est «indissociable de ses antécédents créationnistes et donc religieux », « rien d’autre que de la progéniture du créationnisme ». La réaction du pasteur évangélique Pat Robertson est immédiate : « S’il y a une catastrophe dans votre région, inutile de vous tourner vers Dieu. Vous venez juste de le rejeter de votre ville ! Dieu est tolérant, mais il ne faut pas exagérer. Si les habitants de Dover ont des problèmes, ils n’auront qu’à appeler Charles Darwin. Il pourra peut-être les aider. » $
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