ALS - Magazine 2 - Janvier 2011

10 / ALS Mag Article > Jacques Arnould La France doit désormais tenir compte, politiquement parlant, de ces mouvements créationnistes. « Les derniers dinosaures ont été tués par les chevaliers, au Moyen Âge ; à l’époque, on les appelait les dragons. » (un visiteur du musée créationniste de Cincinnati) Ceux auxquels la seule évocation du nom de Charles Darwin fait hérisser les poils qu’ils ont en commun avec les singes ne manquent pas, depuis quelques mois, de raisons de se réjouir. Fin janvier 2007, les directeurs de très nombreux établissements scolaires français ainsi que leurs centres de documentations, des responsables de laboratoires et d’universités, des journalistes, des militaires et même des évêques reçoivent par courrier un énorme ouvrage (770 pages pour un poids de 7 kilos), intitulé : L’ Atlas de la Création , rédigé par un certain Harun Yahya et envoyé depuis la Turquie ou l’Allemagne. La couverture est épaisse et violemment colorée, le papier glacé, les photographies extrêmement nombreuses. Le message en est clair : « chaque découverte de fossiles constitue une réfutation du darwinisme et les caractéristiques de ces fossiles prouvent que les espèces n’ont jamais changé. Dans ce livre vous pourrez observer quelques spécimens de fossiles qui vont à l’encontre des thèses darwinistes sur l’origine de la vie, et vous pourrez constater la chute éminente de la théorie de l’évolution. » (Extrait de la fiche de présentation). Ainsi, Dieu soit loué, « nous ne sommes pas les fruits d’une évolution ; nous avons été créés ». Et, aux lecteurs qui resteraient sceptiques, il suffit de prendre conscience des suites désastreuses de l’intrusion, dans le monde occidental, des idées élaborées par Darwin, véritable ennemi public n° 1 qui prend place aux côtés de Hitler et Pol Pot. Si nombreux sont les conflits, guerres, attentats, jusqu’aux événements du 11 septembre 2001, dont les auteurs sont bel et bien les fils de Darwin ! L’envoi de l’Atlas ne passe pas inaperçu ; le ministre de l’Education a la bonne idée d’en limiter la publicité et d’en offrir aux enseignants, aussi rapidement que possible, une analyse critique. Début 2008, un deuxième volume est envoyé : même taille, même poids, même contenu. Au total, sept sont annoncés : la promesse sera-t-elle tenue ? Début juillet 2007, c’est un musée créationniste qui ouvre ses portes dans l’état de l’Ohio aux Etats-Unis, près de l’aéroport de Cincinnati. Véritable parc à thèmes qui aurait coûté environ vingt-cinq millions de dollars, il a pour objectif de proposer « une merveilleuse alternative aux musées d’histoire naturelle » accusés d’orienter les esprits « contre l’Evangile du Christ et l’autorité des Ecritures », et de « proclamer au monde que la Bible est l’autorité suprême dans tous les domaines de la foi et de la pratique ainsi que pour tout ce qui en dépend ». Une quarantaine d’attractions ou de mises en scène évoquent les principaux épisodes bibliques qui mettent en question les affirmations évolutionnistes : les créations d’Adam et d’Eve, la construction de l’arche par Noé, le Déluge, etc. « Préparez-vous à croire », prévient la brochure de présentation de ce musée. L’un des premiers visiteurs, interrogé sur l’idée que les dinosaures et les hommes aient pu coexister, voire cohabiter, répond : « C’est évident. D’ailleurs, les derniers dinosaures ont été tués par les chevaliers, au Moyen Âge ; à l’époque, on les appelait les dragons. » C.Q.F.D. Ces deux événements semblent contredire ceux qui pouvaient penser que le créationnisme à l’ancienne et le créationnisme moderne étaient dépassés. Le créationnisme à l’ancienne, celui du début du XXe siècle qui défendait avant tout et coûte que coûte la Bible, la vérité qu’elle contient, y compris scientifique et dont la grande victoire a été le procès du singe de juillet 1925 (1) . Et le créationnisme moderne, celui du milieu du XXe siècle qui proposait une science de la création s’appuyant sur la Bible. Pas vraiment dépassées non plus les querelles de sacristie et d’arrière-cour de patronage dans lesquelles certaines Eglises américaines avaient fini par perdre, c’est ce que je pensais, un peu de leur âme et surtout de leur crédit dans l’opinion publique. Le temps n’était-il pas arrivé de mettre au rebut ces histoires d’arche de Noé sur le point d’être retrouvée, de Déluge reconstitué dans une éprouvette ou encore de traces d’êtres humains courant le marathon à côté de dinosaures ? N’étaient-elles pas oubliées, ces chronologies bricolées pour mieux faire « concorder » les récits bibliques de la Genèse avec les ères géologiques ou les arbres de la systématique ? Eh bien non, nous nous trompions. $ (1) : Le 21 juillet 1925, John T. Scopes est condamné par le tribunal de Dayton, dans l’Etat du Tennessee, pour avoir enseigné le darwinisme à ses élèves, contrevenant ainsi à une loi promulguée dans cet Etat, comme dans plusieurs autres Etats du Sud… Deux poussées de fièvre créationniste

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