ALS - Magazine 1 - Décembre 2009

Rencontre avec Marc Chaussidon Directeur de recherche au CNRS Valéry Dubois : Vous travaillez sur de très petites quantités de matières pour tirer des conclusions à très grandes échelles sur la formation du système solaire. Comment est-ce possible ? Marc Chaussidon : Effectivement, alors qu’Apollo avait ramené de la Lune plus de 300 kilos de roches, les missions spatiales rapportent à présent des milligrammes de matière à peine. Quand ce n’est pas moins ! Il y a une mission (mission NASA Genesis), consacrée au vent solaire, qui a rapporté 10 20 atomes, donc c’est vraiment très peu. Il s’agissait de particules de vent solaire piégées dans des collecteurs. Mais ça suffit pour partager ces échantillons entre plusieurs laboratoires dans le monde et chaque laboratoire est ensuite capable, avec sa technique propre, d’aller extraire ces quelques atomes et de les analyser. On travaille parfois sur un milliardième de gramme. On ne le voit pas à l’oeil, on ne peut pas le manipuler, il y a beaucoup de contraintes. Ce qui fait la différence, c’est donc bien la manière dont on est capable de les étudier, de les analyser. Nous, nos spécificités c’est de pouvoir aller regarder à l’échelle du micromètre les variations de composition à l’intérieur de ces échantillons et de le faire avec une très grande précision. En fait, les archives, les informations qui sont stockées dans ces échantillons sont présentes à l’échelle du micromètre ou du nanomètre. Cela peut paraître complètement artificiel pour quelqu’un qui vient de l’extérieur mais en mesurant les compositions isotopiques, les fines variations de compositions dans des grains qui font quelques microns, nous pouvons tirer des conclusions sur des événements qui se sont produits il y a plusieurs milliards d’années à très grande échelle : concernant la formation du soleil sur des échelles de centaines de millions de kilomètres. On passe d’une information stockée dans un grain micrométrique à quelque chose de très vaste parce que l’information a été préservée dans un minéral qui est solide et qui depuis 4,6 milliards d’années n’a pas évolué, a conservé cette information. Les astrophysiciens qui observent la formation de nombreuses étoiles peuvent ensuite nous aider à comparer ce qui se passe autour d’autres étoiles dans l’univers avec ce que nous avons la possibilité d’étudier de notre côté pour le Soleil jeune. VD : Le CRPG vient de se voir doté d’une seconde sonde ionique. Pour le laboratoire cela signifie quoi ? MC : Cet instrument représente une avancée considérable avec une force analytique importante par rapport à d’autres laboratoires dans le monde. L’intérêt est de pouvoir repousser les limites de ce qu’on est capable de mesurer. Cela peut nous permettre par exemple de mesurer le temps beaucoup plus précisément, passer d’une précision d’un million d’années à une précision de 100 000 ans et de reconstituer ainsi l’enchaînement d’événements avec une bien meilleure précision. Pour arriver à gagner cette précision sur des échantillons qui font quelques microns, c’est très difficile. Les échantillons des missions spatiales sont chers, d’autres échantillons terrestres sont très rares et contiennent des informations dans des micro- inclusions et qu’on ne peut donc pas analyser par d’autres moyens que par ces techniques. VD : De nombreuses équipes travaillent à travers le monde sur la formation du système solaire. Quels sont les atouts qui distinguent les équipes nancéiennes ? MC : Il y a au CRPG des laboratoires sans équivalent au monde. Globalement, tout le monde travaille à peu près sur les mêmes échantillons. Nos analyses par sonde ionique, sonde qui a été inventée en France à Orsay il y a une trentaine d’années et que nous avons utilisée pour l’appliquer à l’étude des météorites, est un point qui nous distingue. Nous avons aussi un certain nombre d’autres techniques de spectrométrie de masse qui utilisent un peu le même principe et nous travaillons avec une grande variété de compétences : des compétences analytiques, des compétences expérimentales, des compétences pour développer les instruments, des compétences en modélisation, en collaboration avec des collègues aussi bien astrophysiciens que géologues, chimistes, spécialistes des origines de la vie, physiciens. Le CRPG est un laboratoire qui a été créé au départ comme une partie de l’école de géologie avec un but de compréhension de l’origine des gisements de matières premières et qui, avec le temps, a évolué vers un côté très instrumental. Nous avons progressé vers des thématiques importantes de la géologie comme l’origine de la terre et du système solaire, les climats passés de la terre, les variations des conditions de l’environnement, un grand nombre de travaux palpitants ! Valéry DUBOIS, Image Clé Dossier > Interview Propos recueillis par Valéry DUBOIS / Image Clé ALS Mag / 19

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