Académie Lorraine des Sciences

 

 

PROCES-VERBAL DE LA SEANCE DU 14 JUIN 2001

 

Présents : 70. Ont émargé le cahier de présence : Mmes Gouzou, Combremont, Patard, Baudot, Puton, Gimenez, Lionel-Perrin, Keller-Didier, Keller, Grand'Eury, de Martin, Barnagaud, Mangin, Boumaza, Simonin, Thiebaut, de Fäy ; Mrs Combremont, Keller, Bautz, Ory, Fady, Pentenero, Courbet, Georges, Boyer, Coudry, Franiatte, Poty, Duval-César, Rauber, Tognolli, Bourgoin R., Goliot, Claude, Peltier, Toutain, Jacquin, Pierre, Fossard, Perrin C., Coupechoux P., Coupechoux D., Jolas, Remy, Chollot, Bareth, Klein, Puton, Cordier, Bourgoin C., Peltier J., Oschwind, Doat, Bagrel, Robaux.

Excusés : Mmes Weill, Mayeux, Nicolas, Maire de Vandoeuvre ; Mrs Rossinot, Maire de Nancy, Président de la CUGN, Losfeld, Recteur, Dinet, Président du Conseil Général 54, représenté par Mr Kinderstuth, Denis, Député 54, Philipon, Berna, Claudon, Knech, Guéry, Baudot.

Le Président J.M. Keller ouvre cette séance de clôture de l'année 2000-2001 à 18h00, A. Bautz assurant le secrétariat de séance. Il apporte des informations sur la journée d'étude à Abreschviller et Sitifort prévue le 29 septembre, la réunion de pré-rentrée au Club Pernod le 19 octobre, la manifestation à l'Hôtel de Région de Metz, la date reste à préciser.

1 - Présentation de trois nouveaux Sociétaires : 

- Mr Alain Goliot, Ingénieur automaticien, Consultant, Professeur Associé à l'UHP Nancy 1 en Gestion technique et économique des procédés industriels, présenté par Mrs G. Rauber et G. Combremont.

- Mr Gino Tognolli, Journaliste, présenté par Mrs J.M. Keller et J.P. Puton.

- Mr François Toutain, Pédologue, Spécialiste de la biodynamique des sols et des humus, Directeur de Recherche Honoraire du CNRS, présenté par Mrs F. Jacquin et J.C. Pargney.

2 - Conférence :

"L'ESB et la fièvre aphteuse, quel remède ?" présentée par Mrs Jean-Marie Baradel, Pharmacien, Directeur du Laboratoire vétérinaire et alimentaire départemental de Pixérécourt , et Laurent Paquin, Agriculteur, Vice-Président du Conseil Economique et Social de Lorraine, Secrétaire Général de la FDSEA.

Mr Baradel intervient en premier pour présenter les aspects vétérinaires, scientifiques et cliniques de l'ESB et de la fièvre aphteuse. C'est en 1730 qu'est observé pour la première fois un cas de la tremblante du mouton (infection par l'ATNC ovin). Il est suivi en 1872 d'un cas de tremblante chez la chèvre. Plus tard sont signalés des cas chez d'autres espèces animales (vison, cerf, …), la transmission interspécifique de l'agent de la fièvre aphteuse est établie. Le premier cas d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ou maladie de la vache folle est observé en Grande Bretagne en 1986. En 1990, un premier cas est signalé chez le chat, et depuis chez différentes espèces de félidés sauvages ou élevés en parcs animaliers. A ce jour le bilan des contaminations concernent seize espèces animales. L'agent de l'ESB, le prion, n'est pas spécifique des bovins, il est transmissible à d'autres espèces animales et à l'homme. En janvier 2001, le bilan des cas d'ESB recensés en Europe chez les animaux et chez l'homme montre clairement que l' Angleterre est le pays le plus atteint, avec 179 533 cas chez les animaux, 94 cas chez l'homme. Le développement de la maladie est lié aux changements introduits, pour des raisons économiques, dans le traitement des farines animales (diminution de la durée du chauffage et baisse de la température de traitement à 120°C ; dans ces conditions, le prion transmissible n'est plus détruit). En France, on dénombre respectivement chez les animaux et l'homme, 287 et 3 cas recensés sûrs. Pour l'homme trois cas supplémentaires sont suspectés, mais les familles ont refusé l'examen post-morten indispensable à l'établissement du diagnostic définitif. Les données prospectives indiquent pour l'Angleterre 10000 cas de morts humaines par l'ESB dans les vingt années à venir. Les données épidémiologiques théoriques admettent pour la France 10% des cas anglais. Heureusement, nous sommes actuellement en dessous de ces prévisions ( 94 et 3 (ou 6 ?) cas au 1er janvier 2001). La transmission de l'agent de la tremblante du mouton aux autres espèces, et celle de l'agent de l'ESB de la vache aux autres espèces peut se faire naturellement par voie orale, et expérimentalement par inoculation intracérébrale. Le prion est l'agent pathogène transmissible de l'ESB. Chez les organismes animaux existe une protéine PrP qui intervient normalement dans la transmission nerveuse. La PrP normale présente une structure moléculaire spatiale en feuillet et elle peut être dégradée sous l'action d'une protéinase K. Le prion correspond à une PrP pathologique pour laquelle la structure moléculaire en feuillet est remplacée par une structure en boucle, et sous cette forme elle ne peut plus être dégradée par la protéinase K. Elle s'accumule dans les centres nerveux de l'organisme et provoque les attaques spongiformes de la substance blanche et la dégénération vacuolaire des tissus encéphaliques. Ces atteintes aboutissent après plusieurs années à la mort du malade. Le prion, découvert par le Prix Nobel Prusiner, peut se répliquer bien qu'il ne renferme pas d'acides nucléiques. Il ne mobilise pas le système immunitaire et ne provoque pas de foyers d'infection. Le diagnostic précoce est impossible et l'issue reste fatale pour l'individu atteint. Actuellement différentes hypothèses sont émises quant à l'origine du prion, mais rien n'est prouvé. L'une d'entre elles fait appel à un petit virus initial renfermant des acides nucléiques, qui se transforme en virino, puis en prion. Les recherches dans ce domaine sont en plein essor. La destruction du prion peut être obtenue par chauffage à 136°C minimum, durant 18 minutes, sous une pression de 3 bars, ou par des traitements, des trempages dans des dérivés du sodium comme la soude. L'eau de javel n'est pas efficace, le formol renforce l'activité du prion. Le prion se concentre au niveau des ovex localisés face ventrale des hémisphères cérébraux. Le transport du prion depuis les voies digestives où se fait l'ingestion suit les voies lymphatiques. L'incubation moyenne est de cinq ans. Les deux tests de dépistage post-mortem retenus par les Laboratoires régionaux agréés sont le test suisse Prionix (par électrophorèse) à Bar-le-Duc et Metz, le test français Biorad (test immunologique elisa) à Pixérécourt. Mr Baradel termine son intervention par quelques aspects cliniques. Chez l'animal, la vache, les parties à risques sont le tube digestif (iléon), le système lymphatique, la moelle épinière, le cerveau, les yeux, les amygdales, le thymus, la rate. Pour les muscles, il n'y a aucune crainte à avoir même s'ils renferment un peu de nerf, car si le prion est présent, la dose infectante reste insuffisante. La notion de dose infectante est essentielle à prendre en compte, et heureusement cette dose est importante. De la même façon, il n'y a pas de risque de transmission de la maladie de Creutzfeld-Jakob, forme dérivée de l'ESB chez l'homme, à partir de transfusions de sang. Une maladie proche de l'ESB, le kuru, sévit dans les peuplades de Papous en Nouvelle Guinée. Ces peuplades mangent les cadavres. Les femmes qui ne sont autorisées à ne manger que du muscle ne sont pas malades. Les hommes, qui sont les seuls à consommer la cervelle, sont atteints. Pour finir sont projetées quelques diapositives sur les aspects cliniques de la fièvre aphteuse, maladie virale des Artiodactyles, ongulés à nombre pair de doigts (ovins, porcins, bovins) : images de vésicules qui éclatent, d'érosion du tissu conjonctif. La maladie n'est pas mortelle mais laisse des séquelles. Théoriquement, elle ne se transmet pas à l'homme, mais 6 cas ont été publiés dans le monde ; les atteintes se présentent comme des brûlures au 2ème degré. Les dernières diapositives illustrent les atteintes histologiques de tissus nerveux encéphaliques par l'ESB chez la vache.

Mr Laurent Paquin intervient alors pour exposer les conséquences de ces deux maladies sur l'agriculture. D'emblée, il note une grande différence entre : - la fièvre aphteuse qui est une maladie bien connue des scientifiques, des médias et du public, et qui n'est pas présente chez l'homme, sauf quelques rares cas. - et l'ESB, dont on ne sait pas grand chose, et dont une variante est transmissible à l'homme, d'où un grand sentiment de psychose. Le premier sentiment des agriculteurs est celui d'une totale irrationalité dans la réaction des médias et du public face à la première crise de 1996. Des précautions ont été prises avec le retrait des tissus à risques dans les farines animales. Cette irrationalité dans le passage et le matraquage des informations laisse un goût amer aux agriculteurs qui ressentent une impression de trahison de la part des pouvoirs publics, des scientifiques et des industriels. Les conséquences de la crise de la vache folle sont sans communes mesures avec celles de la crise plus récente de la fièvre aphteuse qui apparaît seulement comme un plus. Les conséquences économiques sont importantes mais surmontables, et ne sont pas les plus graves à son avis : maintien des animaux en ferme car devenus invendables ; saturation des élevages ; baisse de la consommation de viande bovine (40%), des prix (50%), des stocks de fourrages ; apparition de problèmes sanitaires dus à l'encombrement des fermes. Ces conséquences sur la filière ont impliqué des plans sociaux. Plus graves pour les agriculteurs selon Mr Paquin, sont les conséquences morales, la difficulté d'accepter que la profession soit montrée du doigt, et le nombre des suicides en milieu rural a augmenté. Il faut laisser passer la vague et relancer l'agriculture d'aujourd'hui, redonner une bonne image de la profession, s'ouvrir sur le grand public avec des visites de fermes par exemple. Des mesures importantes ont été prises avec l'interdiction des farines animales et la traçabilité des animaux. Les leçons à retenir pour l'avenir sont multiples : les agriculteurs doivent plus travailler avec les consommateurs, les écouter ; il faut mieux définir les objectifs du travail des agriculteurs ; il faut éviter les pièges, les "tartes à la crème" de l'agriculture biologique, qui doit exister, qui a sa place, mais qui ne présente pas que des avantages. Actuellement, l'agriculture biologique représente 1,5% de la production agricole, elle peut atteindre 10%, mais "il n'y a pas que les riches à nourrir". S'il n'y avait que du bio, la production mondiale chuterai de moitié et les prix augmenteraient fortement. En conclusion , Mr Paquin rappelle l'idée constructive que "ce n'est pas parce que c'est difficile, qu'il ne faut rien faire ; c'est de ne rien faire que ça devient difficile".

Le Président ouvre alors le débat entre l'assistance et les deux intervenants. F. Jacquin intervient pour dire que les nouveaux agriculteurs font de l'agriculture réfléchie, qu'ils sont intelligents dans leurs démarches. De nombreuses questions font suite à son intervention : - pourquoi avoir tué le cheptel atteint de fièvre aphteuse alors qu'un vaccin existe ? , et en brûlant les carcasses il y a dégagement de dioxine dans l'environnement (J.M. Keller). Pour Mr Baradel, c'est un problème économique, c'est plus onéreux de guérir que d'abattre. Pour Mr Paquin, l'agriculture n'est plus française, ni européenne, mais mondiale, notamment pour les problèmes sanitaires. Le mouton vacciné fabrique des anticorps, et l'on ne sait pas dire actuellement si un animal possède des AC parce qu'il a été vacciné ou parce qu'il a fait une fièvre aphteuse, et on ne peut pas vendre de tels animaux, notamment à l'étranger. - une petite fille de deux ans a eu la fièvre aphteuse, sans conséquences pour l'enfant. comment a-t-elle pu la contracter ? (dans le public). Selon Mr Paquin, l'enfant a dû être en contact avec un Artiodactyle (ovin, porcin) porteur de lésions qui peuvent être très inapparentes. Cette enfant avait effectué un séjour en Grèce. - les animaux atteints par l'ESB sont abattus mais pas brûlés tout de suite. Leur stockage temporaire ne peut-il pas être une source de pollution de l'environnement, de la nappe phréatique en particulier ? (A. Bagrel). Mr Baradel admet que les cadavres frais peuvent être une source de contamination de l'environnement par les rats et autres rongeurs, et les pluies. Pour l'eau, même s'il y a une petite pollution, la dose infectante reste insuffisante pour qu'elle soit dangereuse pour l'homme. - pour la fièvre aphteuse, n'est-il pas possible d'envisager un vaccin porteur d'un marqueur, un vaccin traceur ? (C. Keller-Didier). Mr Baradel répond qu'il y a eu des essais avec des vaccins délétés, mais c'est un échec. Mr Paquin signale que les vaccins traceurs ne sont pas bien perçus aux USA. - le délai très court pour obtenir l'agrément ESB par le Laboratoire de Pixérécourt n'a-t-il pas été un lourd handicap ? (G. Combremont). Il a fallu équiper le Laboratoire en un mois et demi au lieu de quatre à cinq mois pour les centres de Metz et de Bar-le-Duc. Mr Baradel souligne l'engagement et la détermination de toute l'équipe conduite par Mme Brigitte Bour, ils ont permis de réussir ce pari. Les tests qui exigent six à sept heures de délai sont pratiqués la nuit. Les abattoirs qui fournissent en fin de journée leurs échantillons prélevés, ont connaissances des résultats des tests le lendemain matin. Actuellement, cent prélèvements sont traités chaque nuit. - pour les tests de dépistage de l'ESB, deux procédés sont agréés, Prionix et Biorad. Quels critères de choix ont été retenus par les centres agréés ? (A. Bautz). Bar-le-Duc et Metz qui ont été agréés en premiers, ont retenu le procédé suisse Prionix. Le centre de Pixérécourt, qui a dû monter un nouveau laboratoire, a voulu se démarquer en retenant le test français Biorad plus récent à l'habilitation et plus sensible que Prionix. Mr Baradel signale que les spécificités des deux tests sont comparables. Un troisième test, Enfer, existe en Irlande. - sur le problème des gélatines pharmaceutiques et alimentaires (dans le public). Mr Baradel indique que la gélatine bovine n'est plus utilisée pour les gélules en pharmacie. Pour les confiseries, un doute subsiste, mais les risques sont-ils réels ? . Actuellement, trop de précautions sont prises dans une optique large du "parapluie".

L'heure avancée de la séance nous oblige à interrompre le flux des questions. Le Président remercie très vivement Mrs Baradel et Paquin pour leur passsionnante intervention, la nombreuse assistance, Mme Keller-Didier, Présidente de l'Ordre des Pharmaciens qui a œuvré pour la préparation de cette conférence. Il clôt la séance par une dernière information portant sur la nomination du Dr Robaux, Sociétaire de l'ALS, comme Membre titulaire de l'Académie de Stanislas. Au nom de l'assemblée, il lui exprime de vives félicitations.

Fin de la séance à 20h25.

 

Le Président, Dr J.M. KELLER
Le Secrétaire de séance, A. BAUTZ